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grammaire, la phonétique et la littérature, car c’est Vuk qui a réappris à la classe instruite les contes populaires et les chansons des ancêtres. Œuvre d’unification, même politique, qui a enfanté, en Croatie, « l’illyrisme », précurseur de Jellacic et de Strossmaier.

Titres anciens, affinités avec les Slaves du nord, restauration de la langue serbo-croate, parlée de Laybach aux portes de Sofia, par-dessus tout priorité, chèrement acquise, d’indépendance, ce sont les argumens sur lesquels ce peuple fonde sa « mission ». Cette mission, qui trouve naturellement presque autant de formules que d’apôtres, — parce qu’elle est disproportionnée aux moyens actuels de la Serbie, — tantôt appuie sur la donnée historique : et alors elle consiste à restaurer l’empire de Dusan ; tantôt sur la philologique : ainsi devraient être serbes toutes les régions où le serbo-croate est parlé ; tantôt enfin paraît s’accommoder aux circonstances, se restreindre à une poussée vers l’Adriatique ou l’Archipel : le rêve des États comprimés ou mal dessinés n’est-il pas toujours un littoral ? — Mais quelque expression que revête « l’idée serbe », — son substratum est précis, immuable, réfractaire à la transaction : la Serbie est le centre naturel, exclusif, d’une formation politique quelconque, fondée sur l’idée nationale jugo-slave. Hors d’elle et à plus forte raison contre elle, toute évolution de la race est, par avance, stérile. Rebelles à cette hégémonie, les peuples balkaniques seront, par le fait même, jouets ou complices des étrangers. Voilà le dogme ; et, sous ce rapport, il y a unité de vues entre les partis qui se disputent le pouvoir en Serbie. Les libéraux avec M. Ristic, les radicaux avec M. Pasic, élémens acquis à l’influence russe, et quelque peu grisés du « slavisme », ne sont pas plus affirmatifs que le parti de M. Garasanin, qui a longtemps incliné, par ailleurs, vers l’opportunisme occidental.


II

Doctrine ou aspiration, le « serbisme » trouve des adeptes hors des frontières territoriales du royaume. Comme il était difficile, après Slivnitza, d’y gagner les Bulgares, et, devant la résolution des puissances, d’ajouter au trouble de la Macédoine par une propagande intempestive, c’est vers l’Ouest, dans les provinces jugo-slaves de l’Autriche, que, depuis une vingtaine dan-nées, on cherche, de Belgrade, à accélérer son expansion.

De la Drave à la mer se développe en demi-cercle autour de la Bosnie le vieux royaume tri-unitaire, aujourd’hui tronçonné,