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programme d’une réalisation possible, l’élargissant selon les circonstances. En gens pratiques, ils n’eurent d’autres visées d’abord que l’expulsion de l’Autriche, et plus tard, dès que les circonstances s’y prêtèrent, une agglomération nationale ou l’État unique. Ces opinions contradictoires se heurtèrent plus violemment à l’approche de la proclamation du royaume, et la question fut posée devant les Chambres par l’initiative parlementaire.

Ne pouvant se dérober, Cavour l’envisagea avec plus de témérité que de prudence. Il affirma les vœux qui, prétendait-il, étaient ceux de l’Italie entière, et il en accepta la solidarité, oublieux des doctrines qu’il avait partagées avec d’illustres publicistes et qu’il avait énergiquement défendues ; il n’hésita pas à déclarer toutefois que la solution intéressait d’autres nations et qu’il fallait laisser à l’avenir le soin de la préparer. Si peu disposé qu’il fût à se nourrir d’illusions, il s’était persuadé, il le disait du moins, qu’il ne serait pas impossible de déterminer le Saint-Siège à déposer son pouvoir temporel pour participer à l’érection d’un seul État en Italie, ayant son siège à Rome. Pour prix de ce sacrifice, il lui offrirait la liberté, l’usage entier et indépendant de son autorité religieuse dans le domaine des consciences sans limitation d’aucune sorte, sans aucune des entraves que stipulent les concordats, système qu’il a résumé dans une formule restée célèbre : « L’Église libre dans l’État libre. » — « Je garde l’espoir, a-t-il dit à l’un de ses confidens, d’amener peu à peu les prêtres les plus éclairés, les catholiques de bonne foi à accepter ma manière de voir. Peut-être pourrai-je signer, du haut du Capitole, une autre paix de religion, un traité qui aura pour l’avenir des sociétés humaines des conséquences bien autrement grandes que la paix de Westphalie. » Jamais un grand esprit n’est tombé dans une plus grande erreur et ne s’est plus complètement abusé. Mais il était de ces hommes qui, ayant foi dans leurs entreprises, ne doutent jamais du succès. Il faisait au surplus ses réserves. « Il faut, a-t-il dit dans le principal discours qu’il a prononcé à ce sujet, le 25 mars 1861, que nous allions à Rome, mais à deux conditions : que ce soit de concert avec la France et que la grande masse des catholiques ne voie pas, dans la réunion de Rome au reste de l’Italie, le signal de l’asservissement de l’Eglise. » — Et pour justifier la première de ces conditions, il rappelait les services que la France avait rendus à l’Italie, et les engagemens qui liaient l’empereur au Saint-Père, engagemens dont le gouvernement du roi avait reçu la confidence en sollicitant le concours de la France et qu’il était tenu, dès lors, de respecter. Cavour faisait allusion à ses entretiens de Plombières où l’empereur avait subordonné tout accord au maintien du Pape à Rome (voyez sa