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et les populations ou plutôt les hommes influens qui s’étaient révolutionnairement constitués leurs organes ne pouvaient avoir et n’eurent qu’une pensée, celle de faire prévaloir l’union avec le Piémont à l’aide d’assemblées élues et réunies à cet effet.

Le comte de Cavour ne fut pas longtemps à se persuader que cette situation nouvelle, créée par les préliminaires de Villafranca, offrait des avantages précieux à son point de vue, et qu’elle ouvrait la porte à des éventualités qu’il n’avait lui-même ni prévues ni espérées à Plombières. Sa lettre, dont nous avons cité un extrait, nous a montré comment il l’a envisagée dès qu’elle s’est révélée. Nul motif dès lors ne l’éloignait plus du pouvoir, et le 16 janvier 1860 il reprit la présidence du cabinet piémontais. Sa rentrée dans les conseils du roi fut un encouragement offert à tous les promoteurs d’un royaume de l’Italie du Nord, et leurs efforts en reçurent une impulsion nouvelle.

Ce mouvement eut la bonne fortune de rencontrer à Londres une bienveillance inattendue. Nous avons dit avec quelle passion le cabinet anglais avait entrepris, avant la guerre, d’entraver l’entente de la France et du Piémont, et prêté son appui à l’Autriche. La paix conclue, il s’employa à reconquérir les sympathies perdues en Italie. A dire vrai, le pouvoir avait passé des torys aux whigs ; lord John Russel avait succédé à lord Malmesbury. Le nouveau chef du Foreign Office mit à seconder les vœux des Italiens la même ardeur que son prédécesseur avait déployée pour conjurer le conflit. Encouragé par ces démonstrations précieuses bien que tardives, et certain de ne pas soulever à Paris une opposition irréductible, Cavour n’hésita plus devant les difficultés de sa tâche et prit ouvertement en main la direction du mouvement annexionniste. Pendant qu’il s’y appliquait, les grandes puissances négociaient ; il avait été proposé un congrès qu’aucune d’entre elles ne voulait sincèrement. Appuyé par la Prusse et par la Russie, le cabinet de Vienne se montrait intransigeant pendant que la France et l’Angleterre proposaient des transactions qui, dans une certaine mesure, répondaient aux vœux des Italiens. C’est à travers les mailles de ce tissu diplomatique fort enchevêtré que le comte de Cavour se glissa, et son œuvre touchait à sa fin pendant que les cabinets s’égaraient encore dans de stériles pourparlers. Les assemblées convoquées dans les États de l’Italie centrale votaient en effet, avec un entraînement enthousiaste, la réunion au Piémont, et chargeaient des députations de porter leurs résolutions à Turin.

Ici se place l’évolution qui se fit dans l’esprit de Cavour et le conduisit à substituer, à la constitution d’un royaume séparé dans le nord de la péninsule, la Vénétie exceptée, l’union de