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L’un voulait l’expulser de l’Italie, l’autre, de l’Allemagne ; leur politique avait un objet analogue. Il n’existait cependant aucune entente, à ce moment, entre Turin et Berlin ; les dépêches que les deux cabinets ont échangées avant et après la guerre d’Italie, pendant que M. de Bismarck résidait encore à Saint-Pétersbourg, montrent qu’ils étaient séparés par de profonds dissentimens. — L’explication on est facile. Pendant que le roi Victor-Emmanuel ou plutôt ses conseillers affirmaient leurs revendications, le roi Guillaume entendait rester ou paraître solidaire de toutes les couronnes. Avant et après la guerre de 1859, la Prusse, dans ce dessein, a invariablement blâmé les entreprises du Piémont. Pour ne pas anticiper sur les événemens que nous évoquerons plus loin, nous nous bornerons à rappeler ici que d’ordre de son maître, le baron de Schleinitz prenait, dans des communications hautaines et blessantes pour la dignité du roi Victor-Emmanuel, la défense des princes dont les populations se donnaient au Piémont, et que la Prusse a été, de toutes les puissances, la dernière à reconnaître le royaume d’Italie. Ce sont là des souvenirs qu’il ne saurait être superflu de rappeler en passant.


VI

Revenons à nos deux contempteurs d’un ordre politique qu’ils étaient appelés à remuer si profondément, et constatons que, si M. de Bismarck a rempli de hautes fonctions diplomatiques, pendant que Cavour en était encore réduit à gémir sur le sort de son pays, le patriote italien a exercé le pouvoir longtemps avant lui. Nous l’avons laissé journaliste et membre du parlement, à la veille du premier conflit qui éclata en 1848, entre le Piémont et l’Autriche ; il ne prit aucune part directe aux résolutions qui le provoquèrent, se contentant de soutenir, par sa plume et par ses discours, l’élan qui avait entraîné princes et peuples italiens dans cette lutte ; il applaudit aux premiers actes de Pie IX, à son concours, à celui du roi de Naples, tous disposés, au début, à seconder le Piémont ; mais il ne joua aucun rôle personnel dans ce premier effort qui devait aboutir au désastre de Custozza. Il vit périr dans cette campagne un rejeton de sa race, le fils de son frère, tué à Goïto. Institué son légataire universel, il ne voulut garder de sa succession que l’uniforme troué par les balles ennemies ; il le fit placer sous verre dans son cabinet pour en avoir le spectacle constamment sous les yeux.

La défaite des armes piémontaises lui avait démontré combien il avait toujours eu raison de penser que les Italiens tenteraient vainement de s’affranchir du joug germanique sans l’assistance