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de lui la plus vive satisfaction. « Nous y voilà ! écrivait un ami fidèle du roi, le comte de Sonnaz. L’arbre planté à Rome par Pie IX étend ses rameaux de Naples à Turin ; toute l’Italie peut en recueillir les fruits. » Peu de jours après, le 30 octobre 1847, le roi opérait en effet son premier mouvement en modifiant, proprio motu'', la législation sur des points, divers, en concédant notamment la liberté de la presse, qu’on muselait toutefois à l’aide de la censure préalable. Mais les digues étaient désormais rompues, l’opinion était suffisamment armée pour exiger et obtenir l’entier sacrifice de l’ancien régime ; le 8 février suivant, des décrets nouveaux octroyaient une constitution modelée sur celle de la France. A des institutions nouvelles il fallait des hommes nouveaux ; le roi chargea le marquis Pareto, assisté du comte Balbo, déformer le ministère, confiant ainsi à des libéraux d’une grande notoriété le soin de diriger son gouvernement.

Quel fut le rôle du comte de Cavour dans ces événemens ? Après avoir secondé les efforts de ses amis pour obtenir ces concessions, il se fit journaliste pour les défendre ; il fonda le Risorgimento qui acquit bientôt, sous sa direction, une influence considérable ; il prit une part personnelle à toutes les manifestations qui marquèrent ces jours agités, prenant la tête des députations, frappant aux portes du palais et des ministères. L’économiste devint un homme politique se frayant, par la liberté, le chemin du pouvoir. Mais l’heure d’en franchir les degrés n’était pas encore venue pour lui ; il savait qu’elle ne sonnerait pas sous le règne de Charles-Albert ; le roi n’avait pas oublié l’hostilité du page et de l’officier du génie ; il était bien résolu, et il le témoigna, à lui refuser l’entrée de ses conseils. Cependant l’attitude militante qu’il avait prise, son active participation au Risorgimento, les vœux, les doctrines, dont il s’était constitué l’organe, autorisaient Cavour à revendiquer une place dans le Parlement. Il posa sa candidature à Turin et dans un collège rural ; il échoua dans l’un et l’autre scrutin. Par ses opinions il s’était aliéné les sympathies des conservateurs de la ville ; les électeurs de la campagne lui reprochaient sa naissance nobiliaire. « Bon nombre de nos paysans, écrivait-il à son ami Castelli, sont animés de tels préjugés anti-aristocratiques qu’ils m’ont exclu parce que j’appartiens à l’une des plus anciennes familles du patriciat. J’ai trop souffert des ridicules prétentions des gens titrés pour m’irriter contre les prétentions contraires des classes populaires ; mon échec ne troublera, en aucune façon, mon dévouement à la cause de la liberté ; je ne combattrai pas pour elle à la tribune, mais je combattrai dans les journaux où je trouve un champ dont la jalousie et les inimitiés particulières ne peuvent me fermer l’accès. »