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de publicistes célèbres. Gioberti avec le Primato d’Italia, Balbo avec les Speranze d’Italia, d’Azeglio avec I Casidi Romagna, avaient remué l’âme de la péninsule, des Alpes à la mer Ionienne. Derrière eux avaient surgi des écrivains nombreux qui, faute d’une presse libre, propageaient dans des publications clandestines leurs vœux et leurs doctrines. Tous voulaient également, si on en excepte les organes du parti révolutionnaire, l’affranchissement de toute domination étrangère ; une confédération de tous les États italiens sous le primat du Saint-Père ; des réformes administratives et politiques en harmonie avec l’état moderne. Des sociétés s’étaient organisées avec des dénominations diverses sous prétexte d’études agricoles ou commerciales, lesquelles, en réalité, s’occupaient de politique, soit dans leurs réunions, soit dans leurs publications périodiques ; à Turin notamment, tous les hommes, ayant acquis une certaine notoriété par leurs travaux littéraires ou économiques, y participaient activement ; le comte de Cavour était de ce nombre et se faisait remarquer par une active et brillante collaboration.

L’influence de ces nobles efforts pénétrait sans bruit jusqu’aux cœurs les moins préparés à les agréer. Elle conquit un prélat destiné à occuper le Saint-Siège et à devenir l’initiateur du mouvement italien. Déjà en 1831, Mgr Mastaï avait fait acte de mansuétude libérale. Un groupe de révoltés s’était réfugié chez lui ; il le mit en lieu de sûreté. Le gouvernement pontifical désapprouva la généreuse indulgence de l’archevêque de Spolète, qui fut transféré à l’évêché d’Imola. C’est là qu’il noua des relations, devenues intimes, avec le comte Pasolini, homme de foi quoique libéral. Rien n’est plus attachant que les mémoires de ce patriote publiés par son fils. On y peut suivre l’évolution de l’âme du futur pontife. On le voit, dans leurs entretiens, s’affliger des vices d’une administration incurable, puis se convaincre que le bien de l’Eglise comme celui des populations se conciliaient avec les réformes de tout ordre, désormais nécessaires. Il voulut connaître les publications de Gioberti et de Balbo ; il les relut et il les médita ; il en examina les doctrines avec son interlocuteur et il en venait à s’exclamer : « Qui paie l’impôt a bien le droit de savoir comment on le dépense… Ah ! qu’il serait facile au Saint-Père, ajoutait-il, de se faire aimer… Non, la théologie ne s’oppose pas au progrès. » C’est ainsi qu’il fut séduit, dans sa retraite, par les aspirations nationales dont l’écho venait jusqu’à lui.

En 1846, le Saint-Siège devint vacant ; le cardinal Mastaï y fut élevé après trois jours de conclave. Pie IX y montait sous l’influence des sentimens qui l’avaient pénétré. Il prit l’initiative d’importantes réformes. L’Italie en tressaillit du nord au midi et