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qu’il entrevoyait, dont il avait comme la prescience, et qui lui ouvrirait la scène où il comptait bien travailler à l’émancipation comme à la prospérité de son pays.


II

Quel emploi M. de Bismarck, de son côté, a-t-il fait de ce que nous appellerons sa seconde jeunesse ? Plus heureux que Cavour, il avait reçu cette instruction solide et variée que les gymnases et les Universités distribuent à leurs élèves. Il ne se soucia pas cependant de devenir un lettré. Comme l’y conviait. l’orgueil de la caste à laquelle il appartenait, il visa plus haut et eut d’autres ambitions. En quittant les bancs des écoles, il s’appliqua à se rendre compte des questions de tout ordre qui agitaient l’Allemagne à cette époque. Laborieux et obstiné comme tout puissant esprit, il butinait partout et en toute chose, amassant une somme considérable de notions diverses. Il acquit la connaissance parfaite de notre langue et de la langue anglaise, couronnement nécessaire de l’éducation pour tout homme de sa race. Plus tard, pendant son séjour à Saint-Pétersbourg, il reprit ses bonnes habitudes d’écolier et il apprit le russe. Il est un des rares diplomates qui ait été tenté par un pareil effort. Puis, il voyagea, visita les grandes contrées de l’Europe et le fit avec profit. Possesseur d’une modeste fortune, il dut consacrer tous ses soins à son domaine. L’accomplissement de ce devoir familial l’initia à toutes les questions d’ordre administratif et même social, à la culture des terres, à la distribution des eaux, au sort du paysan, à celui du propriétaire surtout. Il lui fallait cependant chercher une autre voie plus lucrative ; il se glissa un instant dans un service public. Mais ses notions, en matière de hiérarchie et de discipline, n’admettant, après celle du roi, d’autre volonté que la sienne, il s’éloigna de ses chefs par un éclat et il rentra dans son foyer. C’est ainsi que durant sa longue carrière, toujours fidèle à lui-même, il n’a reconnu à personne, dans la vie publique, le droit de se montrer son égal. A-t-il, de son côté, toujours respecté la distance qui, dans ses propres opinions, le séparait de son souverain ? Nous ne voudrions pas l’affirmer.

Quoi qu’il en soit, il vivait, résigné, dans ses terres, quand survinrent les troubles de 1848. Berlin s’agita, comme Paris et Vienne ; le roi Frédéric-Guillaume IV dut octroyer une constitution à son peuple révolté. Une assemblée se trouva ainsi instituée et M. de Bismarck en fit partie. Il y arriva l’âme débordante de tout le fiel d’un junker de la Marche de Brandebourg et il