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postérité écrivant, sans passion, l’histoire des temps passés. Il est acquis en effet que les témoins des perturbations politiques ou sociales en sont les appréciateurs les moins compétens et que la vérité n’apparaît dans tout son éclat qu’à leurs descendans. Il n’est pas moins utile, au lendemain des grandes crises, de recueillir les impressions qui ont frappé les esprits et d’en déterminer le caractère dans la mesure des informations que l’on possède. Une pareille étude offre un intérêt particulier si l’on peut procéder par voie de comparaison. Or dans le cours de la seconde moitié de ce siècle, deux hommes, l’un au nord, l’autre au midi de l’Europe, ont entrepris, chacun de son côté, une œuvre immense qu’ils ont conduite à bonne fin, œuvre qui a fondé, sur de nouvelles bases, l’équilibre général et sensiblement modifié la situation respective et les rapports des grandes puissances, œuvre qui est loin d’offrir au monde les voyages de sécurité et de paix qui lui étaient garantis par l’état de choses qu’elle a renversé. A l’aide de quels moyens ces deux hommes y sont-ils parvenus, comment ont-ils franchi des obstacles jugés insurmontables avant eux ? C’est ce que les futurs historiens, mieux documentés, raconteront avec une impartialité qu’on ne saurait observer aujourd’hui. Il est cependant un point de vue que l’on peut envisager dès à présent et qui nous attire, c’est le rapprochement, le parallélisme, pour ainsi dire, des efforts et des expédiens que M. de Bismarck et le comte de Cavour ont déployés pour atteindre le but que leur patriotisme et leur ambition s’étaient assigné. Ils ont eu, tous deux, la même pensée. L’ont-ils réalisée en prenant les mêmes voies, en usant des mêmes moyens ? La question nous séduit et nous voudrions en dire notre sentiment. Pour aborder ce travail, dont nous ne nous dissimulons pas cependant les difficultés, point n’est besoin d’être initié aux arcanes de leur politique secrète ; les notions acquises, les actes publics suffiront à nous guider dans cette recherche, nous aideront à contrôler l’un par l’autre, à mettre en présence ces deux génies d’ordre si différent, l’un foncièrement italien, l’autre exclusivement germanique.


I

Pour suivre ces deux élus de la fortune dans les sentiers qu’ils ont parcourus et s’initier à leurs pensées intimes, il ne saurait être superflu, il est même indispensable de les rapprocher l’un de l’autre, dès leur jeunesse, afin d’en bien connaître la véritable physionomie. Chez les plus humbles comme chez les plus favorisés, nul ne se soustrait à l’influence de son tempérament