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n’accompagnait jusqu’au cimetière le pauvre cercueil qui, sous la pluie et la neige, était confié à la terre et dont plus tard il fut impossible de retrouver la place. Malgré les séductions de sa personne et de son génie, le grand artiste n’avait jamais connu l’aisance. Généreux, dépourvu de toute entente des affaires, il était absolument inhabile à tirer parti de ses œuvres, et Grimm, qui pendant son séjour à Paris l’avait beaucoup connu, le trouvait au point de vue de ses intérêts matériels « trop peu actif, trop aisé à attraper, trop peu occupé des moyens qui peuvent conduire à la fortune… Je lui voudrais moitié moins détalent, ajoutait-il, et le double plus d’entregent, et je n’en serais pas embarrassé. »

Si, en regard de ce que la nature a fait pour Mozart, nous recherchons ce qu’il a fait lui-même pour son art, nous le voyons ardent, infatigable dès qu’il s’agit de s’instruire. Quand on s’étonnait devant lui de son incroyable facilité[1], il était absolument en droit de dire qu’il l’avait bien méritée par son travail. On sait mieux aujourd’hui ce que son père avait été pour lui, le soin jaloux avec lequel il veilla à son éducation. Musique d’église, oratorios, opéras, divertissemens, concertos pour violon, trios et pièces de clavecin, sans marquer dans aucun genre, Léopold Mozart les avait tous pratiqués, et, comme virtuose aussi bien que comme compositeur il put très utilement servir de guide à son fils au début de sa carrière. Plus tard, celui-ci avait trouvé dans ses voyages toutes les occasions, qu’il recherchait avec avidité, de développer son talent. Pendant son second séjour en France, en se familiarisant avec les opéras de Gluck dont il fut un auditeur assidu, il acquérait le sens de la composition dramatique. En Italie, il apprenait l’art d’écrire pour la voix humaine, et les orchestres de Munich, de Paris, surtout celui de Mannheim, alors le plus réputé de l’Allemagne, lui faisaient connaître toutes les ressources de la musique instrumentale. Enfin, dans sa patrie, une étude opiniâtre des contrepointistes le mettait en pleine possession de la science des combinaisons harmoniques. Passionné pour cette dernière étude, à laquelle ses instincts mathématiques le rendaient particulièrement propre, il sentait bien que seule elle pouvait lui permettre de donner à ses pensées l’expression la plus éloquente, Aussi se montra-t-il toujours reconnaissant à Haydn des leçons qu’il avait reçues de lui, et il avait à cœur de lui témoigner toute

  1. Le compositeur viennois Umlauf, qui lui avait donné à déchiffrer un de ses opéras sur le manuscrit, était émerveillé de la façon dont Mozart s’était acquitté de cette tâche dans les conditions les plus défavorables. « Il faut qu’il ait le diable dans la tête, au corps et dans les doigts, pour jouer ainsi mon opéra, si mal écrit que je n’aurais presque pas pu le lire, et qu’il a joué comme s’il l’avait composé lui-même. »