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même excellence. » Quelle que soit l’opinion qu’on garde aujourd’hui de ses œuvres, il importe, en tout cas, de ne jamais oublier que cet homme si modeste a été un vrai créateur. C’est bien à Eisenstadt qu’il faut placer le berceau de la symphonie à orchestre, et c’est à Haydn qu’était réservé l’honneur de lui donner sa forme définitive. Dans cette forme désormais fixée par lui, le premier aussi il a découvert l’art de mettre en œuvre des idées purement musicales, en les présentant sous les aspects les plus variés et en faisant concourir à leur expression toutes les ressources de l’orchestre, singulièrement accrues par lui.


III

Les conquêtes de Haydn, Mozart les continue et les étend. Comme lui, il avait reçu des dons merveilleux, et sa précocité fut extrême ; les traits qu’on en cite tiennent vraiment du prodige. Avec la même limpidité et la même pondération que son prédécesseur, il a plus de liberté, plus d’ampleur, un coloris plus riche dans l’instrumentation. Mais, bien qu’il offre avec Haydn plus d’une affinité, pour trouver son pareil et son égal, c’est dans un autre art qu’il faut le chercher. Bien des fois déjà on l’a comparé à Raphaël, et si, à raison des similitudes évidentes de leur génie et de leur destinée, la comparaison se présentait d’elle-même à l’esprit, les travaux récens de la critique sur l’un et sur l’autre n’ont fait que confirmer les nombreuses analogies qu’on avait remarquées en eux. Non seulement, en effet, leur vocation a été marquée par des indices aussi manifestes, mais, fils d’artistes tous deux, ils ont trouvé, dès leur berceau, une direction intelligente dont des facultés d’assimilation semblables leur ont permis de profiter sans relâche. A travers les influences les plus diverses et les plus heureusement combinées, ils ont conservé l’un et l’autre toute leur originalité, ce goût, ce sens de la beauté et des proportions, cette fécondité d’invention inépuisable, ce rare mélange d’élégance et de force, de savoir et d’inspiration, cette souplesse et cette universalité d’aptitudes que nous admirons en eux et qui leur ont permis d’exceller dans toutes les branches de leur art. Là malheureusement s’arrêtent les similitudes, et si chez tous deux les excès d’un travail et d’une production à outrance ont abrégé leur vie, Raphaël, du moins, mourait en pleine gloire, comblé d’honneurs, et une population en deuil accompagnait au Panthéon ses magnifiques funérailles, tandis qu’après une enfance et une jeunesse choyées par toute l’Europe, Mozart, à peine âgé de trente-cinq ans, s’éteignait dans la gêne ; que pas un ami