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chacun d’eux l’entière liberté de ses impressions. Il lui suffisait qu’au point de vue purement musical ses pensées fussent toujours claires, correctement exprimées, reliées entre elles, sans vides, sans ambiguïtés, ni surcharges. Tantôt les divers instrumens sous la forme la mieux appropriée au timbre de chacun d’eux, répètent à tour de rôle la mélodie qui sera reprise par tous à l’unisson ; tantôt le motif, présenté d’abord avec des intonations graves, passe d’un élan subit aux notes élevées, comme une aspiration ou un chant céleste ; ou bien à un mouvement d’allures très lentes s’oppose un rythme précipité, et à des sonorités pleines et généreuses succèdent des accens d’une ténuité charmante, comme des gazouillemens d’oiseaux qui se cherchent et jasent gracieusement sous la feuillée.

Parfois Haydn semble s’amuser pour son compte ; il rit lui-même de ses badinages et se précipite, tête baissée, dans les complications les plus audacieuses. Il sait bien qu’il s’en tirera avec honneur, et au plus fort de la mêlée il a des arrêts brusques, ainsi qu’un homme qui dans les pas les plus difficiles garde son sang-froid. Tout le premier, il est heureux de ses bonnes idées, du plaisir qu’il va vous faire en vous les communiquant. Il en voit aussitôt les côtés les plus expressifs, les présente sans trop insister, car voici déjà qu’une autre idée lui est venue qui s’oppose ou se mêle à la première. Doué comme il l’est, il se sent un fonds assez riche pour compter qu’il ne l’épuisera pas. Le souffle de l’inspiration anime et pénètre toute cette musique, et par derrière ces formes transparentes comme le cristal, on sent partout le contentement d’une âme pure, l’équilibre d’un esprit droit et réglé, cette candeur et cette joie de produire qui, dans l’histoire de l’art sont le privilège de certains précurseurs et ne durent jamais qu’un moment.

La cordialité, la confiance, la joviale bonhomie de Haydn se manifestent jusque dans le choix des tonalités qui lui sont le plus familières, et M. Brenet a remarqué avec raison que sur les soixante-treize symphonies de lui que nous connaissons en France, il n’y en a pas moins de soixante qui sont écrites en mode majeur, et que, dans ce mode même, le maître a de préférence recours aux tons réputés les plus brillans et les plus joyeux : majeur, si bémol majeur, ut majeur, etc.[1]. Mais cette gaieté épanouie d’un génie heureux ne va jamais jusqu’à la vulgarité, et Mozart, évidemment bon juge en ces matières, disait : « Il n’en est pas qui, comme lui, soit capable de badiner ou d’attendrir, de provoquer le rire ou de vous émouvoir profondément, et toujours avec la

  1. Histoire de la symphonie à orchestre, p. 70.