Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/689

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que Scarlatti l’avait établie, d’autres violonistes célèbres : Corelli, Vivaldi et Tartini, y avaient excellé, sans cependant modifier profondément son caractère. C’est à mettre en relief les qualités toutes personnelles de leur jeu qu’ils s’appliquaient surtout. Aussi attribuent-ils sans partage au violon principal le rôle prépondérant. Il conduit la bande et ne permet pas qu’on empiète sur lui. Si le dessin des motifs mélodiques qui lui sont exclusivement réservés est parfois d’une largeur et d’une simplicité extrêmes, parfois aussi il disparaît sous la surcharge des traits et des fioritures accumulés. On voit même des virtuoses jaloux d’attirer à tout prix l’attention du public se livrer aux excentricités les plus désordonnées et abaisser leur talent jusqu’à l’imitation des chants ou des cris des animaux. Mais sans parler de ces tentatives ridicules, même dans les meilleures compositions de ce genre, l’intérêt des combinaisons harmoniques est médiocre, et les idées peu développées sont généralement aussi mal reliées entre elles. C’est la science de la polyphonie qui, en leur donnant l’ampleur et l’unité qui leur manquaient, allait préparer l’avènement de la symphonie.

A raison de ses aptitudes mélodiques, le violon était resté par excellence l’organe du concerto, et l’Italie avait vu naître ses meilleurs facteurs et ses virtuoses les plus célèbres. Par les perfectionnemens qu’elle apportait à la fabrication du piano et les ouvrages nombreux que ses compositeurs écrivaient pour lui, l’Allemagne allait donner une nouvelle preuve du contraste qui existe entre le génie musical des deux nations. Les débuts de cet instrument avaient été bien humbles, et l’on a peine à croire que ces boîtes d’apparence modeste, aux sons aigres et chétifs, que, sous les noms d’épinettes ou de clavecins, on rencontre dans certaines collections, étaient appelées à conquérir les dimensions encombrantes et les tapageuses sonorités du piano moderne. Par une destinée non moins bizarre, tandis que le violon, tout en conservant un type à peu près constant dans ses proportions plus ou moins agrandies, était arrivé à constituer le groupe le plus important de l’orchestre, le piano s’en voyait exclu. Les améliorations introduites dans son mécanisme sont relativement récentes, et c’est seulement vers la fin du siècle dernier que, par une suite de transformations efficaces, on a su étendre son clavier, amplifier et prolonger ou étouffer l’éclat et la durée de ses vibrations. En dépit de ces divers perfectionnemens, le piano reste forcément condamné à des défauts nombreux : le son produit mécaniquement, s’élevant par une suite de sauts, est bien loin d’offrir chez lui la qualité ou la continuité que le souffle de