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Est-ce à dire que ce don d’adaptation, cette affinité entre la terre, le climat, le milieu et l’homme font plus défaut à notre race qu’à d’autres et la rendent par cela même plus impropre à la colonisation ? Il n’en est rien, mais de la complexité des facteurs climatologiques, de la nature du sol et de ses productions, de la proximité de l’Algérie à la France, il est résulté que, dans la sélection des émigrans, le hasard a eu un rôle prépondérant. Le voisinage des deux pays, l’apparente similitude de cultures et, dans une certaine mesure, de climat, ont pour conséquence de faire considérer l’Algérie comme une colonie où les mêmes aptitudes trouveront les mêmes emplois et donneront les mêmes résultats qu’en France, résultats doublés et triplés par le fait seul de l’expatriation et du mirage de l’imagination. Ce qu’il faut à l’Algérie, ce sont des colons, des capitaux et l’eau. Les colons sont venus, au hasard des circonstances, plus volontiers qu’ailleurs, l’Algérie étant plus proche, mais aussi moins préparés qu’ailleurs, le changement de milieu paraissant moindre. De la multiplicité de ces cas individuels, d’absence de préparation et d’irréflexion est résultée la multiplicité des insuccès, les uns voulant importer ici les procédés de culture perfectionnée en usage en Europe, les autres espérant tirer d’un sol vierge et au prix de peu de labeur des récoltes rémunératrices ; les uns, et c’était le petit nombre, apportant des capitaux imprudemment risqués et promptement absorbés, les autres n’apportant que des bras inexpérimentés.

De ce que le Kabyle, avec son rudimentaire outillage agricole, trouvait à subsister sur ce sol, de ce que l’Arabe frugal y vivait en pasteur nomade au milieu de ses troupeaux, il ne s’ensuivait pas que le Français, avec ses goûts autrement compliqués, avec son besoin de sociabilité surtout, et partant d’agglomérations urbaines et rurales, pût s’accommoder de ces primitives conditions d’existence. Implanter sur ce sol une organisation sociale en tout point conforme à ses habitudes et antagoniste à celle des indigènes, créer des centres agricoles, inaugurer d’autres procédés de culture, s’ouvrir l’accès du pays et le couvrir d’un réseau de voies de communication, ne pouvait être l’œuvre que du temps. Le résultat étonne, et plus encore la rapidité avec laquelle il a été obtenu, et si l’œuvre n’est pas achevée, elle est en voie de l’être. Il y a progrès évident et soutenu ; le niveau moral de l’émigrant se relève et aussi la compétence des administrateurs coloniaux. Ce qui fait surtout défaut, c’est l’argent et c’est l’eau. Pour lutter contre la sécheresse, l’on a fait de louables efforts ; des travaux d’irrigation ont été menés à bien, d’importans barrages ont