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aperçus inquiétans succèdent et répondent des aperçus favorables.

Tlemcen est, avec Alger, Constantine et Biskra, l’une des villes les plus pittoresques de l’Algérie ; elle est, au point de vue historique, la plus curieuse après la cité morte de Timgad. Sa décadence date de 1500, époque où les Espagnols, acharnés à la poursuite des musulmans, leur enlevèrent Oran. Tlemcen, « la ville sainte », perdit son prestige en perdant son port sur la Méditerranée ; elle est aujourd’hui une sous-préfecture et le siège d’une subdivision militaire. Plus méridionale que Biskra, mais située par 800 mètres d’altitude, Tlemcen jouit d’un climat tempéré. Des bosquets de noyers, de figuiers, d’oliviers encadrent d’une luxuriante verdure ses vieux remparts et ses élégans minarets. A la ville arabe se juxtapose la ville juive, aux maisons badigeonnées en bleu, aux murailles décrépites et lézardées. Ici encore je retrouve la haine et le mépris de l’Arabe pour le juif, auquel il ne pardonne ni le mal qu’il lui a fait ni l’argent qu’il lui doit. L’antisémitisme a de nombreux adhérens en Algérie, mais le Français sait mal haïr ; il n’a pas l’implacable rancune de l’Arabe, et les brutales violences lui répugnent. Sa haine se dépense en diatribes et l’humilité le désarme. Le juif n’a rien à redouter des colons tant que la conscience du pouvoir que donne l’argent ne le fera pas se départir de son attitude. Il se peut qu’il en vienne là et que l’antisémitisme revête alors une forme aiguë qui pourrait singulièrement compliquer les choses, car à Alger, comme à Oran et à Constantine, les juifs sont nombreux, et, de par leurs capitaux accumulés, influens. Le conflit, si conflit il doit y avoir, apparaît encore lointain, nonobstant quelques manifestations inquiétantes provoquées par l’ingérence des juifs dans les questions de politique locale. Il est difficile cependant d’exiger d’hommes auxquels on a conféré les droits de Français qu’ils s’abstiennent dans des questions où leurs intérêts sont en jeu, dans des élections où ils ont qualité pour voter.

Tlemcen est pour attirer les touristes ; quelques-unes de ses mosquées, celles de Djama-Kébir, d’Aboul-Hassen, de Sidi-el-Haloui, sont des chefs-d’œuvre de l’architecture religieuse arabe, et si l’Alhambra de Grenade, la grande mosquée de Cordoue, la Giralda de Séville n’existaient pas, ou venaient à disparaître, c’est à Tlemcen que l’on viendrait admirer les plus merveilleuses conceptions de l’art mauresque. Puis les ruines de Mansoura, qu’édifia le sultan Abou-Yakoub, sont grandioses, et les cascades d’El-Ourit, sur la Melfrouch, rappellent, sur la terre africaine, les beaux sites des Alpes.