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dans l’enceinte à travers la foule indifférente ou hostile, non sans peine il s’en dégage, et gravit l’escalier aux hautes marches qui aboutit au sommet du minaret. De là se déroule un merveilleux panorama. Par-dessus les palmiers de l’oasis dont les pieds plongent dans l’eau et la tête dans le feu, par-delà la ville accroupie sous leur ombre, se dessinent au nord la longue crête du Djebel Amarkaddou ; au nord-ouest, Biskra et son oasis ; au sud, le désert.


VII

Oran. — Par Blida et la plaine de la Mitidja, par Orléansville et l’immense plaine du Chélif, par Relizane et les plaines de la basse Mina, on gagne Oran, la ville hispano-française, que sa voie ferrée relie à Alger distant de 421 kilomètres, que la Compagnie transatlantique rattache à Marseille, à Malaga, Gibraltar et Tanger. Des fenêtres de l’hôtel Continental, j’aperçois au-dessous de moi le ravin profond de la Rouina, les fortifications du Château-Neuf, puis un coin de mer blanc sous un ciel d’azur. Chemin faisant, j’ai revu Blida, « Blida la parfumée », « Blida la courtisane », que Mohammed-Ben-Yussen comparait à une rose.

Rose, elle l’est ; elle en a la couleur, le charme et le parfum qui se mêle à celui de ses bosquets d’orangers en fleurs. On comprend en la voyant, en y séjournant, même peu de jours, l’attrait que cette ville exerçait sur les Arabes. Ils y venaient autrefois, au temps de leur domination, loin d’Alger, nid de pirates, loin de la mer, qu’ils écumaient, chercher le repos, l’ombre et le plaisir. Sous les yeux se déploie la Mitidja, tapis de verdure, les pentes douces du Sahel, l’Atlas, et dans le lointain, se détachant sur une crête élevée, le « tombeau de la Chrétienne ». A l’extrémité du jardin de Blida s’étend « le Bois sacré ». Des oliviers gigantesques, aux troncs noueux et plusieurs fois séculaires, abritent de leur ombre épaisse les tombeaux des saints de l’Islam.

Nul lieu plus solitaire et plus propice à la rêverie ; mais ce jour-là même avait lieu le pèlerinage annuel des femmes arabes au mausolée de Sidi-Ahmed-El-Kébir, enseveli dans le cimetière pittoresque qui borde l’une des rives de l’oued auquel le saint a donné son nom. Le coup d’œil est merveilleux. Revêtues de leurs plus riches costumes, les femmes remontent, en longues théories, l’étroit sentier qui mène au champ de repos et qu’ombragent de grands caroubiers, des oliviers et des peupliers-trembles. Groupées sur les tertres gazonnés, assises sur les tombes, ces fantômes blancs, drapés dans leurs haïks, ne laissent voir sous le