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du désert. Oran, par la ligne d’Arzew, mesurant 454 kilomètres, atteint Aïn-Sefra ; Alger, par sa ligne achevée jusqu’à Barrouaghia, tend à se relier à Laghouat ; Constantine, que le chemin de fer de Philippeville rattache à la mer, rejoint Biskra par une voie ferrée de 239 kilomètres, que l’on doit prolonger jusqu’à Ouargla située à 350 kilomètres plus au sud. En tant que vestibule du Sahara, ville d’hiverneurs, sanatorium et solarium, Biskra est la plus rapprochée de Paris dont 2 000 kilomètres et soixante heures de voyage la séparent.

Le Sahara s’annonce de loin. par-delà Batna, distant de 99 kilomètres de Constantine, le paysage change, plus plat, plus dénudé, semé de genévriers et de tamaris. Le train, côtoyant les lacs salés de Tinslitt et de Mrouri, fuit, sur de longues pentes inclinées, vers le sud, laissant derrière lui la chaîne de l’Aurès, tandis qu’à l’horizon se profilent les arêtes de l’Amar-Kraddhou « Montagne à la joue rose », que le soleil qui décline dore de teintes invraisemblables. Entre des roches rouges court et bruit l’Oued-El-Kantara. Une haute muraille verticale, aux arêtes bizarrement découpées, se dresse, fissurée par les eaux. La voie ferrée serpente, suivant les sinuosités du torrent, contournant, puis abordant l’obstacle, le franchissant par trois tunnels, et, brusquement, débouchant dans un paysage fantastique, dans une région d’un gris jaune, aux infinis lointains, aux collines et aux plateaux écrasés, aux dunes de sable écrêtées par les vents. C’est El-Kantara, la porte du désert. Sur l’oued du même nom, un pont romain ; en 1844, nos bataillons le franchissaient sous le commandement du duc d’Aumale, et, devant le même paysage, s’arrêtaient, saisis d’étonnement, s’écriant : « La mer, la mer ! »

C’est en effet la mer de sable et de cailloux, de l’Erg sablonneuse et de l’Hamada caillouteuse, semée de chotts et d’oasis, de végétation rabougrie et de palmiers aux troncs majestueux et au feuillage échevelé, mais recouvrant plus de 6 millions de kilomètres carrés, région longtemps mystérieuse et redoutée des anciens, et dont nos explorateurs modernes ont enfin soulevé le voile et révélé les secrets. En l’abordant, oh se sent au seuil d’un monde nouveau. Je retrouve ici des sensations éprouvées ailleurs, celles que je ressentais quand, par-delà les mers tempétueuses du pôle sud, par-delà le cap Horn doublé, j’entrevoyais l’Océan Pacifique aux flots bleus, et que, plus tard, sur l’Océan équatorial, je voyais surgir les terres polynésiennes, la masse énorme du Mauna-Loa, dressant au-dessus des vagues sa cime neigeuse sous un ciel tropical.

Après avoir franchi les gorges d’El-Kantara, le train descend