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jetait à nouveau le discrédit sur des individualités en vue, sur les communes, sur l’administration, sur, ceux qui, de près ou de loin, avaient eu affaire avec les phosphates. Il rouvrait l’ère des scandales, il autorisait les assertions des pires ennemis de l’Algérie, et de ceux qui, Français ou étrangers, visiteurs de passage ou résidens permanens, affectent de ne voir ici que vol ou concussion, illégal arbitraire ou corruption s’étalant au grand jour.

Et cela, au moment même où l’exploitation des phosphates, justifiant les espérances conçues, entrait dans une voie de prospérité, attirant l’attention des capitalistes sur l’Algérie, appelant les capitaux chez elle et réalisant ce desideratum de notre grande colonie africaine, fournissant, sans concurrence possible, à la mère patrie et à l’Europe, l’engrais nécessaire pour féconder le sol épuisé et l’aviver son ancienne fertilité, enrichissant le monde en s’enrichissant elle-même, ouvrant à son commerce des débouchés importans et à ses ports un trafic considérable. À cette ère naissante et brillante succédait, sans transition, un temps d’arrêt, puis une série de complications coïncidant avec une crise financière en Europe provoquée par la baisse des actions des mines d’or du Transvaal. Brusquement ramenée en arrière, entravée dans son développement, l’Algérie voyait, une fois encore, la probité de ses ressortissans mise en cause, l’intégrité de ses administrateurs mise en doute, et une défiance légitime remplacer une confiance que motivaient des résultats acquis.

Ce qui s’est passé ici n’est, à tout prendre, spécial ni à l’Algérie ni à la France. On a vu, on voit, partout où une découverte inattendue révèle une source de richesses inespérées, les appétits en éveil, les convoitises surexcitées. On affirme que des concessions ont été octroyées au mépris des droits de l’État et de l’équité, mais s’il n’est que juste de signaler à la réprobation publique les agissemens de certains politiciens, on est aussi en droit de s’enquérir quel a été, en cette occurrence, le rôle de ceux qui, représentant le gouvernement, ont, par leur insouciance, leur faiblesse ou leur complicité morale, prêté la main à ces agissemens, et qui, engageant la signature de la France, ont consacré la spoliation des droits de la France. La justice ne saurait avoir deux poids et deux mesures, et, indulgente aux uns, être implacable pour les autres. Puis, dans quelle mesure les compagnies d’exploitation de Tébessa sont-elles complices des fraudes commises ? A s’en tenir aux faits, elles ont acquis des détenteurs des concessions primitives leur droit d’exploitation ; elles croyaient au succès et, y croyant, ont fait partager leur confiance à leurs actionnaires ; elles ont réuni des capitaux, ouvert des galeries, embauché des ouvriers,