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prend pied, l’un des facteurs indispensables du mouvement en avant : la main-d’œuvre à bon marché.

De Souk-Ahras à Tébessa : 128 kilomètres, franchis en six heures. La vieille Théveste apparaît, par 1 088 mètres d’altitude, avec ses ruines romaines du premier siècle de notre ère, si bien décrites par M. A. Ballu, avec son arc de triomphe de Caracalla, ses remparts byzantins construits par l’eunuque Salomon, son temple tétrastyle, dit de Minerve, sa basilique et son monastère recouvrant une superficie de 20 000 mètres carrés. Entre ce qui fut et ce qui est, le contraste est saisissant. Dans les ruines de la basilique, située hors des murs, on se croirait à Lambessa ou à Timgad. Le même soleil y dore les colonnes, les dalles et les voies désertes ; le même grand silence plane sur ces pierres sculptées par la main de l’homme, effritées par le temps ; tandis qu’à l’horizon, aux flancs des collines dénudées, s’estompent les hangars blancs de la concession du Dyr, et qu’à quelque pas, dans Tébessa, une foule hétérogène circule sur le cours, entre les remparts byzantins et une ébauche de jardin public moderne, où les chapiteaux de colonnes servent de siège aux Arabes indolens. Et pourtant, dans ce cadre antique, sur cette terre française, la note dominante m’apparaît essentiellement américaine. Les gens s’abordent et parlent de phosphates, comme autrefois, à San Francisco, de mines d’or. Les mêmes préoccupations se lisent sur les visages ; on sent passer sur cette ville, sentinelle avancée de l’Algérie sur la route de Kairouan et de la Tunisie, un souffle dévie intense et d’impatiente attente. Je retrouve ici le go ahead yankee, l’assurance d’une réussite prochaine, la foi dans l’avenir, puis aussi la fantasmagorie des chiffres jetés au hasard, des paroles qui grisent, des imaginations qui s’enflamment.

J’y retrouve aussi autre chose ; Tébessa est en fête. Une kermesse y est organisée au profit des blessés de Madagascar. Tous y prennent part, tous y contribuent avec une touchante unanimité, Un sentiment intime, profond, rapproche les cœurs et joint les mains, ajoutant une note nouvelle, sincère, émue, aux évocations du passé et aux préoccupations du présent.

Ces évocations et ces rapprochemens sont curieux à observer dans ce coin perdu et naguère somnolent de l’Afrique française, qui tout à coup s’éveille et se dit que, demain peut-être, il sera, lui aussi, un grand centre commercial et une populeuse cité. A cela, rien d’impossible ; on a vu des choses plus invraisemblables, et le rêve, si ambitieux soit-il, peut devenir une réalité. Le phosphate est plus nécessaire à l’humanité quelesdiainans du Cap