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fortune et les hautes charges précédemment exercées, ils ont ajouté une liste civile considérable, une maison civile et militaire imposante, un luxe de palais et d’équipages, de suite et de serviteurs bien propre à impressionner des Asiatiques. Dans le cadre factice et somptueux que lui font l’étiquette et les signes apparens d’une situation sans rivale, le représentant de l’impératrice des Indes, que l’Hindou n’entrevoit, dans sa calèche armoriée, que suivi d’une escorte militaire ou d’un cortège de rajahs et de hauts dignitaires, lui apparaît grandi, incarnant en sa personne un pouvoir indiscuté. Effet d’optique, j’en conviens, trompe-l’œil qui n’en impose qu’aux simples, mais c’est sur des simples que l’on voulait agir ; et nul, mieux que l’Angleterre, ne s’est rendu compte du parti que l’on peut tirer du prestige extérieur et de l’empire qu’il exerce sur les races qu’elle gouverne.

Cet empire, le prestige l’exerce aussi sur les races africaines, mais il y a conflit entre nos mœurs démocratiques et le recours à des apparences purement adventices. Qu’avant tout nous exigions d’un gouverneur général ainsi que de ses collaborateurs des capacités administratives et des aptitudes gouvernementales de premier ordre, rien de mieux, mais il est sage et de bonne politique de rehausser, autant que faire se peut, son autorité, à tout le moins d’éviter ce qui serait de nature à l’amoindrir, de lui laisser un champ d’action assez vaste où se mouvoir, et d’étendre ses pouvoirs avec ses responsabilités. Il serait aussi d’une sage politique de n’en point faire, même en apparence, un fonctionnaire constamment appelé sur la sellette, contredit et discuté, et par cela même diminué. Si l’instabilité ministérielle est regrettable, combien plus regrettable encore l’apparente instabilité de l’homme qui nous représente aux yeux d’une population vaincue par la force, soumise à la force, mais qu’un abîme de traditions et de croyances, de souvenirs vivans encore, et d’espérances vagues sépare de nous.

Ces réserves faites, si je compare les résultats acquis aux Indes et en Algérie et la compétence des hommes préposés à l’administration de ces colonies, je ne vois pas que la comparaison soit défavorable à la France. Je constate que, là encore, la France se prive volontairement d’un élément de succès que l’Angleterre n’a garde de négliger, mais je constate aussi que les autres moyens mis en œuvre par elle sont de premier ordre. Je vois des hommes, moins rétribués, accomplir une tâche plus difficile. On ne saurait contester leur capacité, leur intelligence pratique, leur activité, et surtout leur humanité. Ils ont à cœur la prospérité de