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début ; avant peu ce chiffre sera considérablement accru, et si l’on tient compte de ce fait que la production du vin dans le monde entier dépasse déjà 120 millions d’hectolitres à l’année ; que la consommation en est limitée à une partie de l’Europe ; que l’Asie en use peu, que l’Amérique ne tardera pas à se suffire ; et que l’Océanie en ignore à peu près l’usage, on peut se demander si la France, productrice de vin par excellence, bientôt réduite, pour les vins ordinaires et de par sa politique protectionniste, à sa consommation locale, pourra soutenir, sans une baisse notable des prix, la concurrence de l’Algérie.

Déjà, et non sans raison, on s’en émeut dans le Midi. Ce que j’ai vu et noté au cours de mes excursions n’est pas pour dissiper ces appréhensions. Les vignobles succèdent aux vignobles. Des pentes du Sahel, ils débordent sur la Mitidja ; de Staouéli à Rouïba, ils enserrent le golfe ; entre Alger et Oran ils se déroulent sur des milliers d’hectares, merveilleusement cultivés et entretenus, mieux qu’aucun de nos vignobles du Midi. On y chercherait vainement des herbes parasites et des sillons négligés. Le regard s’étend sur cet océan de vignes en plein rapport que prolongent au loin des champs nouvellement plantés.

Ici apparaît le labeur du colon, l’Algérie agricole que l’on ne fait qu’entrevoir à Alger, et dont l’hiverneur ne soupçonne guère l’existence et encore moins l’importance. On peut, en effet, passer des mois à Alger sans voir autre chose de l’œuvre de colonisation qu’une grande et belle cité, un centre administratif et militaire, un cadre attrayant à un tableau curieux, et aussi, ce qui ne tente que quelques utilitarians que préoccupent les questions pratiques, les rapides progrès d’une industrie maraîchère appelée à de grands développemens.

Quiconque, par son travail ou son initiative intelligente, ouvre des voies nouvelles à l’activité humaine et crée ou développe une industrie utile, est un artisan du progrès, un créateur de richesse, ajoutant une plus-value à l’actif de l’humanité. À ce titre, ses efforts valent d’être notés et encouragés ; ils valent aussi d’être rémunérés ; ils le sont d’ordinaire quand ils répondent aux besoins de tous et mettent à la portée du plus grand nombre ce qui n’était accessible qu’aux rares privilégiés de la fortune. Ainsi font, en Algérie, les capitalistes, grands ou petits, les cultivateurs, les maraîchers qui se consacrent à la production des primeurs : fruits ou légumes, mandarines, oranges, raisins précoces, bananes, citrons, artichauts, pois, haricots, pommes de terre nouvelles, et qui, devançant la marche des saisons, contribuent à varier, sur nos marchés du nord, l’alimentation générale. Commerce de luxe, dira-t-on ? Demandez s’il en est ainsi aux