Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/640

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les optimistes, entre ceux qui ont foi dans l’avenir de l’Algérie et ceux qui doutent, la lutte se poursuit ; aux uns comme aux autres les argumens ne font pas défaut et les événemens donnent alternativement raison. Il est vrai qu’à mesure que les années s’écoulent, de nouvelles questions se posent et de nouveaux problèmes s’imposent.

Ce n’est pas après quatre voyages en Algérie et quatorze mois de séjour consacrés, en partie, à visiter cette province plus vaste que la France, que je puis prétendre à résoudre ces problèmes compliqués. Je constate ce qui a été fait et j’entrevois ce qu’il y aurait lieu de faire, et je me sens d’autant plus à l’aise pour en parler que je n’ai ni thèse à soutenir ni thèse à combattre, que voyageur, et observateur impartial, je me suis borné à voir, à noter et à comparer. J’insiste sur ce dernier terme, car tout est là. Affirmer ou nier nos facultés colonisatrices, préconiser ou dénigrer nos procédés de colonisation, c’est n’exprimer qu’une opinion superficielle et toute personnelle, faite d’impressions accidentelles et relativement sans grande valeur, tant que la comparaison avec les résultats obtenus par ceux que l’on nous cite comme nos modèles et nos maîtres en la matière ne confirme pas l’assertion. Puis, j’ai conscience d’avoir passé, moi aussi, en ce qui concerne l’Algérie, par des phases diverses, parle pessimisme et l’optimisme, selon le milieu et les circonstances. La réalité, telle qu’elle m’est apparue, s’est dégagée lentement du brouillard d’impressions contradictoires. De longs voyages en des pays lointains, une expérience personnelle du gouvernement de races étrangères, l’étude attentive des modes divers de colonisation employés par les Européens, hors d’Europe, m’ont fourni les termes de comparaison que j’estime indispensables. Dans cette voie où j’invite mes lecteurs à me suivre, je ne me propose d’autre but que la recherche de la vérité sur l’état actuel de notre colonie ; que de leur montrer l’Algérie telle qu’elle est aujourd’hui, après soixante-seize années de conquête et d’occupation, telle que l’ont façonnée nos colons et nos capitaux ; et, sans parti pris ni opinion préconçue, signaler les erreurs commises et les progrès accomplis.


II

Alger. — Sur une mer bleue, sous un ciel blanc de chaleur, le navire court à toute vapeur. A l’horizon se profile une côte accidentée, formant presqu’île, et parsemée d’habitations que domine Notre-Dame d’Afrique ; en arrière : les massifs dentelés des monts de la Kabylie, l’Atlas aux croupes sinueuses et le Djurjura neigeux. Encore quelques tours d’hélice et Alger, la ville