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au XVe le labeur des femmes jusqu’à près de moitié seulement de celui des hommes. Quelle a été la cause de ce changement, et ne faut-il pas dire, en retournant l’argument de ceux qui cherchent de nos jours à entraver le travail féminin pour faire hausser le masculin, que c’est au contraire la baisse de la paie masculine, provoquée par des causes indépendantes des salaires, qui, amenant la gêne du ménage, contraignit un plus grand nombre de femmes à solliciter de l’ouvrage et à en restreindre la valeur par leur mutuelle concurrence ?


III

Jamais le salaire des paysans n’avait été au moyen âge aussi élevé que dans la seconde moitié du XVe siècle ; jamais dans les temps qui vont suivre il n’atteindra des chiffres équivalens, pas même de nos jours. Dès le règne de Louis XII (1 498-1 515), les dépenses du prolétaire, comparées à ses recettes, accusent une situation moins favorable : l’influence de la crue de population se manifestait.

Le journalier qui gagnait 3 fr. 60 sous Charles VIII, ne gagna plus que 2 fr, 90 sous François Ier, 2 fr. 25 sous Charles IX et 1 fr. 95 à l’avènement d’Henri IV. Le laboureur de la fin du XVIe siècle n’avait ainsi, pour vivre, que la moitié de ce qu’avait eu son aïeul, cent ans auparavant. Il n’avait guère plus des deux tiers de ce dont avait joui le moins fortuné de ses pères depuis le milieu du XIVe siècle. Le salaire, sous Henri III, oscille depuis 1 fr, 27, prix d’un vendangeur à Issoudun, jusqu’à 3 francs, prix d’un journalier de Bourgogne. Nourri, le manœuvre doit se contenter en moyenne de 90 centimes à cette époque, tandis qu’un siècle plus tôt il recevait 1 fr. 80, et que 50 ans avant il touchait 1 fr. 20. Une paie quotidienne de 1 fr. 60, encore assez ordinaire en 1510, est tout exceptionnelle en 1545 pour un journalier nourri ; le seul à qui nous la voyons accordée, à cette date, doit en retour un service particulièrement pénible : il soigne les pestiférés à Montélimar.

Le XVIe siècle, qui vit le triomphe des propriétaires fonciers, vit aussi la déroute des travailleurs manuels ; tandis que le XVe siècle, où les terres étaient tombées presque à rien, avait été l’ère la plus avantageuse pour les salariés. Veut-on se rendre compte de la valeur respective du travail et de la terre ? Rapprochons les moyennes du revenu de l’hectare labourable de celles du salaire des manœuvres. Au XIIIe siècle et jusqu’au premier quart du XIVe — époque où le sol labourable n’est que très partiellement