Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/612

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

service domestique. Le peuple des campagnes, au sein duquel le mouvement des idées s’opère avec plus de lenteur, n’a pas encore là-dessus la même manière de voir que celui des villes : il est aujourd’hui nombre de métayers et de curés de village qui ont chez eux leur sœur comme servante appointée. Les valets ne mangent-ils pas à la ferme à côté des maîtres, dont la prérogative est seulement d’occuper à table le « haut bout » ?

Dans la hiérarchie du faire-valoir rural, le petit berger, le gardeur de porcs, le « petit valet pour les chevaux » tiennent le plus bas degré : ils touchent 80 à 100 francs par an. Beaucoup de ceux d’aujourd’hui, à l’âge égal, n’ont pas autant. Les « bons valets de charrue » bouviers, vachers, domestiques batteurs en grange, constituent le gros de l’effectif ; leurs gages variaient de 200 à 350 francs suivant la capacité ; enfin, au haut de l’échelle, sont les charretiers — comme de nos jours d’ailleurs, le « fin charretier » était un personnage rare ; on lui donnait jusqu’à 400 et 500 francs par an.

Comparera-t-on à ces valets rustiques les serviteurs attachés, dans le « plat pays » ou dans une « bonne ville », non à la terre, mais à la personne d’un bourgeois ou d’un châtelain ? Si l’on néglige ceux qui ont une aptitude spéciale, cochers, cuisiniers, etc., et si l’on ne s’occupe que de la province, — les gages des hommes à Paris étant aujourd’hui exceptionnellement élevés, — on remarque que les domestiques de l’intérieur ressortent à l’heure actuelle en moyenne à 370 francs, contre 350 francs pour ceux de la ferme. La même analogie de traitement se retrouve au moyen âge. Il faut naturellement laisser de côté les privilégiés : le valet de chambre de saint Louis payé 728 francs, ou le barbier-valet de Charles le Sage qui recevait 2 000 francs ; comme aussi les valets de princes, bien que celui du comte d’Artois ne soit pas appointé plus de 550 francs au XIVe siècle, et celui de la comtesse de Savoie plus de 316 francs en 1299. Encore moins doit-on ranger dans la simple domesticité les semi-fonctionnaires auxquels incombent les emplois cynégétiques des châteaux opulens : un fauconnier qui touche 3 300 francs, un veneur qui touche 1 500 francs. On pourrait plutôt y faire rentrer les pages — à 190 francs par an en 1313 — puisque aux XIVe et XVe siècles ces jeunes gens, poétisés par le roman et le théâtre, joignaient à leur service d’honneur les tâches les plus vulgaires, voire les plus malpropres. Le valet d’un rentier urbain, d’un curé, d’un marchand, d’un notaire, avait des gages peu différens de ceux du domestique de ferme, un peu plus bas cependant, tandis qu’aujourd’hui ils sont un peu plus hauts. On en rencontre depuis 150 francs au XIVe siècle, et les plus favorisés