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de la dépopulation des campagnes, les malheureux laboureurs, privés d’ouvrage, crèveraient de faim durant dix mois de l’année.

Pas plus que ceux de 1896 les domestiques de ferme d’autrefois n’étaient habillés aux frais de leurs maîtres ; la preuve, c’est que, dans un bon nombre de contrats, il est stipulé que ces derniers fourniront aux hommes une robe, un chaperon, aux femmes une jupe, un surcot, aux uns et aux autres quelques aunes de toile ou quelques livres de laine, mais les gages monnayés subissent toujours une réduction proportionnée à l’importance de ces objets de toilette, et il importe peu qu’ils soient remis en nature par le maître, du moment où le serviteur paie leur prix en argent.

Comme les salaires des manœuvres, les gages des domestiques ruraux s’élevèrent du XIIIe au XVe siècle : de 1276 à 1325, la moyenne est de 180 francs par an ; de 1326 à 1350, elle fut de 192 fr. ; dans la seconde moitié du siècle elle se hausse à 242 francs ; puis, en 1401-1450 elle passe à 320 francs et à 342 francs en 1451-1475. Ces gages étaient, comme on voit, presque équivalens à ceux de nos jours ; ce fut, on vient de le dire, le point culminant de la courbe des prix du travail ; mais à cette même date le journalier, avec ses 3 fr. 60 par jour, se faisait 900 francs avec un labeur de 250 jours par an, c’est-à-dire 20 pour 100 de plus que le journalier de 1896 avec un labeur de 300 jours.

Les moyennes qui précèdent recouvrent naturellement de grandes inégalités : nous ne regarderons pas, il est vrai, comme des domestiques, ces « charretiers à pied », ou à cheval, dont les uns reçoivent 5 francs et les autres 10 francs par jour pour convoyer l’armée de Louis IX en 1231, ou celle de son fils en 1285 ; il s’agit ici d’un service militaire — le train des équipages — non d’un service agricole, et tout ce qui a trait à la guerre est fort bien payé en ce temps-là. Nous ne comprendrons pas non plus, dans la catégorie des adultes employés à l’exploitation rurale, les bambins auxquels on ne donnait que 20 francs par an et quelquefois 12 francs. Le besoin de bras, la hausse des gages, multiplia, dès la fin du XIVe siècle, les embauchages de petits êtres saisis par le travail à des âges invraisemblables. Tel père loue pour un an et demi, comme servante, sa fille âgée de 8 ans ; tel autre « baille « pour 9 ans, à un fermier voisin, « le corps d’une sienne fille âgée de 4 ans. » Les liens de famille ne sont pas un obstacle à ces engagemens : des fils se louent comme serviteurs chez leurs pères, avec leurs femmes et leurs enfans, au nom desquels ils se portent garans. Dans les mœurs d’une époque qui sortait à peine du servage, il ne pouvait s’attacher aucune idée humiliante au