Le traitement de l’homme le plus bas placé dans la hiérarchie laborieuse était donc égal à ce qu’il est aujourd’hui et certainement plus avantageux qu’il n’a été de 1801 à 1840. Il était impossible qu’il en fût autrement, si l’on se reporte aux conditions de la France entre 1301 et 1350. Les causes qui favorisaient alors le travailleur rural sont analogues à celles qui faisaient payer, il y a trente ans, un manœuvre du Far-West 12 et 15 francs par jour. Quand on peut devenir propriétaire sans bourse délier, comme au temps de Philippe de Valois, et cultiver son propre fonds, personne ne veut plus cultiver la terre d’autrui. Pour que ce serf affranchi, à qui son maître d’hier, devenu simplement son seigneur, « accensait » le sol à discrétion, consentît à travailler à la tâche, il fallait qu’il n’eût pas en poche les quelques dizaines de francs indispensables à l’achat du matériel sommaire d’une petite exploitation. C’est pourquoi les services de l’ouvrier agricole furent à plus haut prix sous Jean le Bon que sous Louis XVI. Il en est de même des femmes employées aux besognes des champs, dont on évalue aujourd’hui le salaire moyen à 90 centimes, quand elles sont nourries, et 1 fr. 50 quand elles ne le sont pas. Elles gagnaient en moyenne, au XIVe siècle, 1 fr. 80 sans nourriture, en Normandie ou en Champagne ; et les faneuses de l’Anjou n’ont que 1 fr. 50, mais les vigneronnes de la Lorraine ont 2 fr. 10.
Que serait-il advenu de cette prospérité d’un pays, que Froissart nous dit être « gras, plein et dru, les gens riches et possédant de grands avoir », si la guerre de Cent ans ne fût venue brusquement l’interrompre ? Sans doute la population eût continué à s’accroître, le sol eût été rapidement utilisé. Le contraire arriva ; avec la fin du XIVe siècle commence une ère navrante où la civilisation, rudement, fut refoulée en arrière ; la terre tomba au XVe siècle à moins du cinquième des prix qu’elle avait naguère atteints. Mais les salaires augmentèrent à mesure que le pays se dépeuplait. Au lieu de 2 fr. 70 sous Charles V, le manœuvre gagna 3 fr. 15 sous Charles VI et 3 fr. 60 sous Louis XI. De son côté la journalière rurale qui recevait, en 1326-1350, 1 fr. 80, acquiert, de 1401 à 1500, une paye normale de 2 fr. 25 à 2 fr. 30. Les bras mâles ou femelles, les simples bras du XVe siècle sont moitié plus rémunérés que ceux du XIXe, si l’on n’envisage que le taux de la journée.
Les travaux auxquels s’appliquent les chiffres qui précèdent sont tous de la nature la moins compliquée, travaux des champs pour la plupart : tasseurs de foin, hotteurs de raisins, scieurs de bois, faucheurs ou laboureurs, les moindres d’entre eux touchent 1 fr. 20 s’ils sont nourris, et 2 fr. 40 s’ils ne le sont pas ; les mieux