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« Il faut avoir une pensée de derrière la tête, et juger de tout par là, en parlant cependant comme le peuple » : Strauss, chargé d’édifier, au fond de la Souabe, quelques âmes rurales, racontait cette tactique à son ami Märcklin. On s’est, il y a deux ans, scandalisé, dans certains cercles croyans, de cette phrase de M. Meinhold, professeur à Bonn : « Si une vieille petite mère me parle du bienheureux Abraham, je ne la trouble pas, je me réjouis de la simplicité de sa foi, et je pense à cette parole du Christ, que quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera point. » De quelque irrévérence qu’elle témoigne pour la vieille petite mère, pour Abraham, peut-être même pour le royaume de Dieu, une telle maxime n’a rien de plus étrange que la conduite de M. Pfleiderer, le célèbre professeur de Berlin, qui conteste, devant les étudians, l’apparition de Jésus sur le lac de Génésareth, racontée dans l’Evangile de Jean, et qui, devant les fidèles, à la Quasimodo de 1881, prêche, dit-on, sur cette apparition. « Le mensonge dans les chaires est pire que le manque de chaires », s’écriait il y a deux ans un pasteur croyant de Hambourg, M. Glage, bientôt châtié par ses supérieurs pour son appel à la franchise et pour son exemple de franchise. Il avait souvenance, peut-être, d’un gracieux distique inscrit sur les murs de la Wartburg : « Lorsque le cœur et la bouche sont d’accord, c’est bien la meilleure musique. » Mais si ce distique est aujourd’hui lettre morte, la faute en est-elle aux prédicateurs, ou bien au travail théologique qui a divisé l’Eglise contre elle-même ?

Une Bretonne, un jour, entendant Ernest Renan parler du « divin », trouva qu’il causait comme M. le recteur, et même mieux ; et certaines personnes, plus confiantes que sagaces, ne virent point de différences entre la Vie de Jésus et un livre d’édification. Si sévères que soient les théologiens d’Allemagne pour la science d’Ernest Renan, il serait un excellent maître de rhétorique pour beaucoup de prédicateurs, qui cherchent à produire sur leur auditoire l’impression qu’il fit, à son insu, sur la paysanne bretonne. L’art suprême, la souplesse accomplie, consiste, devant une communauté croyante, à prêcher comme si l’on croyait, et devant un auditoire mêlé d’orthodoxes et de libéraux, à satisfaire les uns et les autres. On se rappelle la réflexion de Marguerite sur le mystique pathos de Faust : « Le prêtre dit bien à peu près la même chose, mais avec des mots un peu différens. — En tous lieux, réplique Faust, tous les cœurs que la clarté des cieux illumine parlent ainsi chacun dans sa langue ; pourquoi ne le ferais-je pas, moi, dans la mienne ? » Et Marguerite, alors, de reprendre : « A l’entendre ainsi, la chose peut paraître raisonnable. Cependant