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lentement à Pékin, comme à Stamboul, et ces deux images de Dieu, le commandeur des croyans et l’empereur de la Chine, devenir, insensiblement, au fond de leurs palais, les dociles lieutenans du tsar blanc.

Comment s’étonner que la Russie préconise la paix et le statu quo, alors que la paix, le temps aidant, promet de travailler pour le tsar ? Aussi, quand Nicolas II se présente à l’Angleterre en ami de la paix, le monde peut s’en fier à sa parole ; mais, aux Anglais, la paix russe est suspecte. Entre la Russie et l’Angleterre, entre les deux suzeraines de l’Asie, persistent les défiances anciennes, ranimées par des incidens récens. C’est, en vérité, grand dommage, sinon pour la paix de l’Europe, du moins pour une chose qui nous tient encore à cœur, à nous, Français, pour la civilisation chrétienne et pour l’humanité. Il y a, de par le monde, des vallées de la Macédoine et des collines du Bosphore aux pentes légendaires de l’Ararat, des milliers de familles qui souffrent, des peuples entiers qui meurent des soupçons réciproques du Russe et de l’Anglais. Osons le dire, des races qui ont survécu à trente siècles d’oppression, restes vivaces de nations autrefois illustres, sont menacées d’extermination, d’ici à quelques semaines, pour peu que les conversations des diplomates traînent encore en longueur. Il serait reçu en sauveur, des rives de la Corne d’Or aux sources de l’Euphrate, le messager qui annoncerait à l’Orient que la visite du tsar russe à la Grande-Bretagne a dissipé les préventions des deux peuples et rétabli, ne fût-ce que pour quelques mois, la confiance entre les deux gouvernemens. Les fêtes célébrées par l’opulente Angleterre en l’honneur de son hôte impérial, l’écho en va retentir au fond de l’Orient, comme une promesse de vie, ou comme un glas de mort. Ils sont, là-bas, sous le sceptre ensanglanté du maître d’Yldiz-Kiosk, entre le Rhodope et les frontières de la Perse, quatre ou cinq millions d’hommes, coupables de porter le nom de chrétiens, qui ne peuvent espérer de salut que d’une entente entre les deux lointaines rivales, la Tamise et la Neva.

Nous autres, Français, si longtemps les premiers aux pays des croisades, nous voici, par notre faute, plus peut-être que par les efforts de nos concurrens, déjà relégués au second plan. Encore une part, et non la moins glorieuse, de l’héritage de l’ancienne France que nous semblons en train de perdre. Ce ne sont pourtant pas les adjurations de nos consuls et de nos missionnaires qui nous auront manqué. Déjà, l’Orient, étonné de notre effacement ou de notre silence, s’habitue à tourner vers d’autres ses regards et ses espérances. Peut-être avions-nous là, en ces contrées