Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/563

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de variété, le plus de brillant et de brio dans son rôle d’empereur-roi. Certains affirment que le jeune tsar Nicolas tient son impérial cousin, son aîné en âge et son ancien en grade, en haute estime, admirant la forte culture, le port souverain, la parole imagée et royalement hautaine, l’activité infatigable, en un mot la personnalité si vivante et vibrante de ce rejeton des Hohenzollern, en qui, par un mystérieux atavisme, semblent revivre tour à tour et batailler ensemble tant d’ancêtres d’humeurs et d’époques différentes. Quelques-uns ont été jusqu’à dire que, à vingt ans, le futur Nicolas II avait pris Guillaume II pour modèle. Est-ce là autre chose qu’une légende, l’admiration du jeune tsarévitch pour le fils de Frédéric III s’expliquerait plutôt par la diversité, voire par l’opposition de leurs caractères, que par leur similitude. Si modeste, si timide, si réservé qu’il a longtemps paru, le tsar Nicolas est, comme son père, Russe avant tout et, comme son père, il n’entend être le second de personne. Il l’a suffisamment montré, à Breslau même, par le ton et le laconisme de sa réponse française au toast allemand de son exubérant cousin.

De quoi ont bien pu s’entretenir les deux monarques si, en dehors des parades militaires et des fastueuses réceptions de cour, ils ont trouvé le loisir de causer une heure ? Une chose est certaine, ils se sont fait part, mutuellement, de leur amour de la paix, se déclarant, tous deux, résolus à tout faire pour la maintenir. L’empereur Guillaume, celui même qui, naguère, entonnait une invocation à l’épée libératrice, annonçait à ses troupes, au lendemain de l’entrevue de Breslau, qu’il était pleinement d’accord avec son puissant voisin. D’accord pour la paix sans doute, nous en pouvons, aujourd’hui, croire Guillaume II. Une faute de tact qu’un prince n’aurait pas commise, il s’est rencontré des Allemands pour nous apprendre que le tsar avait dû s’excuser d’avance, auprès de son cousin, de sa prochaine visite en France, comme, entre gens du même monde, on cherche à se faire pardonner des fréquentations vulgaires. Personne en France, ni en Russie, ne s’est laissé prendre à cette inepte billevesée. Chacun sait que, si le tsar vient chez nous, il le fait de propos délibéré, par politique, non par politesse. S’il a fait, durant ce voyage, des visites de courtoisie, c’est ailleurs. Il n’a, sur sa venue en France, d’explications à donner à personne, et moins peut-être à l’empereur allemand qu’à tout autre. L’Allemagne est, de tous les pays du monde, le dernier qui se puisse étonner de l’alliance franco-russe. Comment s’en montrerait-elle surprise ? Cette alliance est son œuvre, c’est elle qui l’a préparée, elle qui l’a nouée, à Francfort,