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des gouvernemens et les vœux des peuples ; elle repose sur quelque chose de plus substantiel et de moins fragile, sur l’équilibre des forces et des armes. Si elle est arc-boutée, d’un côté, par l’Allemagne et ses deux alliées, elle l’est, de l’autre, par le tsar russe et par la République française ; et, pour qu’elle dure, le mieux est qu’il n’y ait pas dans un sens une poussée plus forte que dans l’autre. Triste paix ! diront les esprits chagrins ; paix écrasante, paix ruineuse que celle qui repose sur l’immensité des armemens ! Mais l’Europe de la fin du XIXe siècle en peut-elle connaître une autre ? — Et le siècle qui vient, le siècle dont l’aube blanchit l’horizon, sera-t-il lui-même plus heureux que son aîné ?

S’il est de nos contemporains qui veulent exiger davantage, nous n’y contredisons point. Puisse l’avenir, sur lequel il est toujours si facile de bâtir de beaux songes, ne pas décourager trop vite les vastes espérances ! Après tout, le voyage même du tsar Nicolas II semble fait pour autoriser quelques rêves. N’est-ce point, en tout temps, le privilège de la jeunesse ? et notre vieille Europe ne saurait-elle un peu se rajeunir, ou se renouveler, au contact de ce jeune souverain et de sa jeune femme, acclamés partout comme une promesse d’avenir et une vision de paix ? Et si de pareils messagers n’y réussissent point, qui le ciel lui devra-t-il envoyer, à cette Europe divisée, pour lui faire oublier, ne fût-ce que l’espace d’une semaine, ses jalousies anciennes et ses défiances invétérées ? — Mais, pourquoi ne pas le reconnaître ? quand nous disons que l’entente franco-russe a raffermi la paix, ce qui en soi est déjà de grand prix, nous ne disons pas tout ; nous sommes injustes envers la Russie et envers nous-mêmes. Notre entente avec l’empire du Nord va peut-être faire quelque chose de plus, et quelque chose de mieux. Cette alliance qui, aux yeux de ses adversaires, et aux yeux même de certains de ses promoteurs, devait précipiter l’Europe dans la guerre, cette alliance longtemps suspecte aux pacifiques, voici que, non contente de renforcer la paix, elle s’efforçait, hier encore, avec le tsar Nicolas II et avec son ministre, feu le prince Lobanof, de reconstituer une chose bien surannée, bien archaïque, qui paraissait à jamais finie, ce que nos pères appelaient, un peu ambitieusement, le concert européen. — Le concert européen, quel revenant d’une époque à jamais, semblait-il, évanouie ! Il paraissait bien mort depuis quelque trente ans, cet antique concert européen, et l’on aurait naguère fait sourire d’incrédulité les hommes à qui l’on eût promis de le faire revivre. Combien de fois, depuis Sadowa et depuis Sedan, n’avons-nous pas entendu répéter : Il n’y a plus d’Europe. Cela en certains cercles était devenu une banalité. Finis Europæ ! gémissaient, en