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I

Et, d’abord, première remarque qui n’a rien pour déplaire à tout Français mettant la patrie au-dessus de l’esprit de parti. La forme même du gouvernement français donne à la visite du tsar en France plus de prix pour nous, et plus d’importance pour l’étranger. Si la France était restée ou redevenue une monarchie, si, à la place des vides jardins plantés sur leurs décombres, les Tuileries reconstruites abritaient, de nouveau, un empereur ou un roi, la visite de Nicolas II n’aurait assurément rien que d’agréable pour notre amour-propre national. Mais le fait que nous sommes en république, qu’il n’y a plus, chez nous, ni trône ni tête couronnée, qu’ainsi que son ancienne demeure, la monarchie a été rasée jusqu’en ses fondemens, que les souverains n’ont plus en France de frère ou d’égal qui puisse leur rendre politesse pour politesse, rend la démarche de Sa Majesté l’empereur de toutes les Russies plus flatteuse encore et plus significative. L’étiquette républicaine de l’Elysée, par un involontaire souvenir des mœurs monarchiques, a beau entourer nos présidens en voyage d’honneurs presque royaux, ce n’est pas à M. et à Mme Faure que le tsar et la tsarine viennent faire visite, ce n’est même point à la République, c’est à la France elle-même, à la nation française. Cela seul est un fait nouveau, peut-être sans précédent ; et, — républicains ou non — nous avons le droit de nous en réjouir, car cela donne un solennel démenti aux calculs anciens des ennemis de la France.

Sur ce point, les combinaisons du Richelieu prussien ont été déjouées ; les complaisances et les espérances mises par M. de Bismarck sur le berceau de la République ont été trompées. Il est bon, à l’occasion, de nous rappeler la querelle faite par le chancelier de fer à M. d’Arnim, ne fût-ce qu’afin de ne pas laisser la République justifier par ses écarts les machiavéliques calculs du ministre de Guillaume Ier. Le fondateur de l’Unité allemande comptait sur la République et sur l’instabilité républicaine pour nous isoler des monarchies militaires du continent. C’est pour cette raison, — et avec sa franchise hautaine, il ne prenait même pas le soin de le dissimuler, — que ce grand contempteur de la démocratie était républicain — en France. Par bonheur pour nous et pour la Russie, le fossé creusé par la République entre Paris et Pétersbourg ne s’est trouvé ni assez profond ni assez large pour empêcher l’autocratie russe de tendre la main à la démocratie française ; tout au plus, la République a-t-elle retardé leur rapprochement d’une quinzaine d’années. Le prince de Bismarck, devenu