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LE VOYAGE DU TSAR

Le tsar va débarquer en France ; le tsar vient à Paris faire visite à la République française. Quelle émotion, mêlée de colère et d’anxiété chez les uns, d’orgueil et de délirantes espérances chez les autres, eût suscitée, des Pyrénées au Rhin et du Rhin aux Carpathes, pareille nouvelle, il y a quinze ans, il y a vingt ans ! Le prophète qui eût osé l’annoncer n’eût guère rencontré que des incrédules ; ou, pour ajouter foi à semblable prédiction, les politiques se fussent représenté une Europe en feu, au moins une Europe belliqueuse, prête à tous les conflits, car une pareille conjonction de la démocratie française et de l’autocratie russe ne semblait se concevoir qu’à la veille ou au lendemain d’une commotion européenne. Or, c’est la première réflexion qui se présente à l’esprit, s’il y a quelque chose de changé en Europe, et de changé en mieux, à l’avantage de l’Europe et de la France, — comme le prouve cette visite impériale, — force nous est bien de reconnaître que les fondemens de l’Europe de 1871, de l’Europe du traité de Francfort, n’en sont ni modifiés ni ébranlés. Au lieu d’être le signe avant-coureur d’une grande guerre, prélude d’une révision des traités existans, le voyage du tsar à travers l’Europe apparaît bien plutôt comme une promesse de paix, partant, qu’on le veuille ou non, comme un tacite acquiescement aux traités. C’est là un point sur lequel il nous importe, à nous Français, de ne garder aucune illusion. C’est parce qu’il se présente, partout, en messager de paix que le jeune tsar est acclamé de tous les peuples. Or, qui dit paix, dit forcément maintien des traités, et qui dit maintien des traités dit respect des frontières actuelles. Rien donc de changé, quant aux