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de lichens ; elles-mêmes brûlées par l’âpre soleil, sans une source ni un filet d’eau, montrant à nu les tas de pierres rondes, blanches, collées ensemble, qui font leur substance. Pas d’arbres, sauf dans les creux, sur les pentes un peu douces, les rangées souffreteuses d’amandiers et d’oliviers. Cela produit pourtant et malgré les chances de gelée. Un hectare moyen d’oliviers vaut cinq mille francs.

Enfin, voici l’étang de Berre ; une vraie mer intérieure. Il a je ne sais combien de lieues, on le voit pendant plus d’une demi-heure sur la droite. — Je parlerais toujours de cette admirable nappe bleue immobile dans sa coupe de montagnes blanches.

Un souterrain noir, long de plus d’une lieue, puis tout d’un coup la haute mer, Marseille et ses rochers ; j’ai poussé un cri : « Oh ! que c’est beau ! » — Un immense lac qui vers la droite n’a plus de fin, rayonnant, paisible, dont la couleur lustrée a la délicatesse de la plus charmante violette ou d’une pervenche épanouie. Des montagnes rayées qui semblent couvertes d’une gloire angélique, tant la lumière y habite, tant cette lumière, emprisonnée par l’air et la distance, semble être leur vêtement. Les plus riches ornemens d’une fleur de serre, les veines nacrées d’un orchis, le velours pâle qui borde les ailes d’un papillon n’est pas plus doux et à la fois plus splendide. Il faut avoir recours aux plus beaux objets du luxe et de la nature pour trouver des comparaisons, aux jupes de soie ruisselantes de lumières, aux broderies qui rayent une moire, à la chair rose et vivante qui palpite sous un voile ; et quant à ce soleil qui flamboie, et de sa torche immobile verse comme un fleuve d’or sur la mer, rien au monde ne peut en donner l’idée ni en fournir l’image.


Marseille

Énorme quantité de maisons religieuses. Nous avons compté trente grands couvens de femmes dans l’annuaire. La plupart des jeunes gens, tout ce qu’il y a de plus riche, y est élevé. M. B…, à Toulouse, estimait aux deux tiers les jeunes gens élevés, en France, par les ecclésiastiques.

La dévotion est ici celle du Midi, tout extérieure. Dernièrement il y eut une procession à Notre-Dame de la Garde, on y portait en visite toutes les reliques de la ville ; elles y restent un an, après quoi on les ramène. Les très nombreuses confréries de pénitens, gens de la ville, laïques affiliés, en froc et en cagoule avec des bannières, des cierges, etc., ont accompagné en longues files ; des pigeons étaient attachés aux croix, les ailes liées, mais