Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/503

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

longs murs secs en pierres entassées ; rien que de la pierre et des amas de pierres, tout cela au hasard et négligé. Derrière les clôtures, des jardins en étages où luit la feuille roussie et dorée d’une vigne, où sur le bord des murs vient se poser la lourde feuille dentelée du figuier, où parfois les pins, collés l’un contre l’autre, laissent échapper sous l’ardent soleil leurs senteurs pénétrantes.

Du sommet s’étale tout d’un coup, tout ouverte, la magnifique mer bleue, d’un bleu doux et tendre, tout matinal et virginal ; on ne voit pas de vapeurs, il y en a pourtant, mais leur mousseline est si finement diaphane qu’elles ne marquent leur présence qu’en confondant la mer et le ciel à l’horizon. Le soleil qui monte fait un lac d’or ruisselant et tremblotant sur la soie azurée de l’eau immobile. Tout est azur, azur tendre, l’immense mer, le grand ciel ouvert ; de petites barques lointaines, grisâtres, y remuent imperceptiblement comme des mouettes.

On descend par une longue ruelle tortueuse où les entassemens de pierres rougeâtres et brunes sont encore roussies par le soleil ; c’est un calvaire, les stations sont marquées. — Cette aridité n’a rien de repoussant, les longues lignes des murailles découpent des pans de ciel riant. On se sent peintre dans ce pays. — Au tournant, apparaissent les lointains du côté de la terre, longues et hautes collines onduleuses et vaporeuses, veloutées par la distance, sèches, mais cependant si belles ! Ces grandes formes baignées d’air et de lumière s’allongent si paisiblement et si noblement ! À leur pied, l’étang de Thau, petite mer laissée par la mer, luit comme une glace de métal poli. — Cette splendeur rejaillit et fait contraste avec la douceur des montagnes. Comme on sent ici la noblesse de la beauté et comme le Midi offre le Paradis tout fait aux sens qui savent le comprendre !

Les plantes ont un parfum étrange et enivrant ; les fruits sont savoureux, les raisins énormes sont dorés et veloutés ; il y en a tant, que les plus pauvres enfans en ont les mains pleines dans la rue.

Il faut ici avoir une vigne, comme disaient les Italiens du XVIe siècle, avec le voluptueux accompagnement des tableaux et de tous les arts.

Nous nous sommes assis sur les quartiers de roche fendue à mi-côte. J’y suis resté seul une demi-heure ; c’est la plus vive et la plus complète sensation heureuse que j’aie eue depuis longtemps. La mer immense en face, d’un bleu divin ; le ciel est presque blanc en comparaison. Cette mer est calme comme le Paradis ; seulement sur la large nappe étincelante où le soleil