Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/492

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Promenade dans le bateau à vapeur qui traverse toute la baie et va jusqu’au Goulet. On oublie bien vite la fourmilière humaine pour ne penser qu’à l’eau, au sable et au ciel. A droite et à gauche, bien loin, parfois à perte de vue, presque au bord de l’horizon, s’allongent et ondulent les collines de sable, molles et monotones, telles que le vent et les flots les ont faites. Elles croulent éternellement ; aux endroits abrités, il faut des branchages de sapin et des sortes de claies pour les maintenir. On oublie tous les autres bruits, on se figure ce petit murmure incessant du sable qui fond, s’écoule ou s’entasse. Leurs longues raies frangent l’eau bleue d’une blancheur mate et forte ; elles n’ont point d’étincelles, mais il n’y a pas de plus beau cadre que leur puissante couleur. — Au-dessus d’elles et avec elles, ondoient les forêts de pins. Point d’autre arbre, on n’aperçoit que ce vert, aussi solide que la blancheur du sable. La vivante frange des forêts monte et descend, puis par derrière s’enfonce à l’infini avec des creux et des bosselures. Quelques têtes crénellent l’horizon ; tout cela respire et épanche une vague odeur d’aromates qui se mêle avec la brise salée de la mer. Cependant l’eau bleuâtre roule, çà et là brodée d’argent, dans sa ceinture de plages blanches et de forêts vertes. C’est un grand port, une sorte de refuge naturel où les êtres tranquilles peuvent pulluler et s’abandonner à l’abri des violentes vagues de l’Océan ; les méduses flottantes passent à chaque minute sous leur grand capuchon, étendant le réseau de leurs tentacules, comme d’énormes champignons ballottés par le flot transparent. — C’est là un spectacle comme en ont vu les premiers hommes ; une terre vierge, du sable et toujours du sable. Des pins, puis encore des pins, quelques ajoncs, quelques traînées de plantes grimpantes entre les troncs résineux qui suintent, un sol primitif, simple dépôt de la mer, peuplé par une seule espèce de plantes ; puis la grande eau, sa mère, qui l’enveloppe de ses replis, et le ciel éblouissant de blancheur lumineuse qui aspire les parfums et la sève.

Tout à l’entour, des marais, des morceaux de plages sablonneuses et luisantes, tour à tour inondés et découverts, rien d’humain ; une œuvre nue et brute, les premières végétations encore toutes barbares sur le lit délaissé de la grande eau primitive. — Quand les premiers navigateurs sont venus ici sur leurs pirogues, ils ont trouvé peut-être quelques hérons, une mouette, un épervier comme celui qui planait tout à l’heure au-dessus du bleu des vagues, parmi la magnificence des rayons célestes épanchés dans la blancheur. Ils ont débarqué ; leurs pieds, comme les nôtres, se sont enfoncés dans la grève ; ils ont entendu le même chant