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matie. Les chrétiens d’Orient demandent partout l’autonomie : il a été, non pas facile assurément, mais moins difficile de la leur attribuer dans les pays où ils étaient en grande majorité, et où la conquête musulmane, peut-être parce qu’elle était plus récente, n’avait pas encore pénétré aussi profondément. Là, on a dit avec une certaine justesse que les Turcs étaient simplement campés. Ils ont été évincés, refoulés peu à peu, avec de grandes souffrances pour l’humanité, et on a vu naître à l’autonomie, puis à l’indépendance, les petites principautés, puis les petits royaumes des Balkans et de la Grèce. En Crète aussi, les chrétiens sont en majorité environ des deux tiers ; on a pu arriver dès lors à y introduire la charte nouvelle dont l’Europe vient de prendre l’initiative ; mais l’œuvre ne s’est pas accomplie et elle ne se poursuivra pas sans peine. On a dû tenir compte, et on a bien fait, non seulement des résistances naturelles des musulmans, mais de ce qu’elles ont en quelque mesure de légitime, et ce n’est pas sans avoir pris des précautions pour garantir les droits de la minorité que les consuls des puissances à la Canée et leurs ambassadeurs à Constantinople ont rédigé le pacte nouveau qui a été finalement accepté par tout le monde. Les musulmans eux-mêmes s’y sont résignés, non sans répugnance, non sans révolte intérieure, mais avec le sentiment qu’ils y avaient été ménagés autant qu’ils pouvaient l’être, puisqu’on leur assurait, dans la distribution des fonctions publiques, une part proportionnelle à leur quantité numérique. Ils se sont inclinés.

Mais, pour revenir aux chrétiens, la situation qu’ils revendiquent et qu’on parvient quelquefois à leur assurer dans les pays où ils sont les plus nombreux est la mesure de celle qu’ils exigent dans ceux où ils ne le sont pas. Leurs prétentions sont les mêmes en Arménie ou en Crète. Ils ne tiennent aucun compte des différences de situation. Partout ils veulent être les maîtres. Même inférieurs en nombre, ils veulent être supérieurs en puissance politique. La question d’Orient entre dès lors dans une phase nouvelle. Les provinces vraiment chrétiennes de la Turquie en ayant été successivement détachées, l’Europe se trouve aujourd’hui en présence des provinces vraiment musulmanes ou turques. Si les musulmans se sont défendus autrefois, ils se défendront dorénavant avec plus de vigueur encore s’il est possible, avec l’énergie du désespoir. A mesure qu’ils se sont repliés sur les derniers territoires qu’on leur a laissés, ils y sont devenus plus compacts et plus forts. Chacune des révolutions politiques qui se sont succédé dans les anciennes provinces et qui y ont établi la domination chrétienne a été suivie d’un exode des populations musulmanes. Combien lamentables ont été quelques-uns de ces exodes ! Combien l’humanité n’y a-t-elle pas été cruellement meurtrie ! Combien d’innocens, ici encore, ont payé pour les coupables ! On a gémi souvent sur le