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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



14 septembre.


Ce n’est pas sans inquiétude que les regards se portent du côté de l’Orient. La question de Crète parait close, au moins à titre provisoire ; mais divers symptômes qui se sont manifestés dans d’autres parties de l’empire ottoman, et dans la capitale même, ne permettent pas de regarder comme finie la crise que traverse depuis près de deux ans « l’homme malade ». Qui sait même si elle n’est pas à la veille d’atteindre l’état aigu ? Elle a commencé par les affaires d’Arménie, elle a continué par les affaires de Crète, elle se poursuit en Macédoine, elle menace de s’étendre partout. Il importe que le sultan se rende compte de sa gravité croissante, ce qu’il n’a pas toujours paru faire jusqu’ici : s’il ne le fait pas, les pires conséquences sont à craindre. Personne n’aurait cru, il y a quelques jours à peine, à la possibilité des événemens qui viennent d’avoir lieu à Constantinople. Sur d’autres points de l’empire, sur tous les autres peut-être, on était habitué à voir éclater des troubles subits qui étaient l’objet d’une répression brutale. C’était tantôt dans les Balkans, tantôt en Anatolie, tantôt ailleurs, que le phénomène se produisait, et l’Europe y prenait un intérêt plus ou moins vif, suivant que ses préoccupations générales laissaient plus ou moins de liberté à l’expansion de ses sentimens d’humanité. Il y a une année, des massacres épouvantables ont eu lieu en Anatolie. Nous les avons signalés au moment où ils ont été perpétrés. Nous n’en avons pas atténué l’horreur. Nous nous sommes demandé à qui, en Europe, revenait la responsabilité des encouragemens donnés aux Arméniens, encouragemens qui n’ont été et ne pouvaient être suivis d’aucun appui effectif. À d’autres époques, un aussi large fleuve de sang n’aurait pas été ouvert et n’aurait pas coulé impunément. L’Europe en a été saisie d’angoisse ; mais elle a détourné les yeux d’un spectacle plus propre à ébranler ses nerfs qu’à donner à sa volonté, c’est-à-dire à sa politique, une direction uniforme et acceptée