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alors qu’il pria le théologien Daub d’écrire à Mme  de Heyden la lettre qui devait amener des suites si tragiques.

Ces suites, du moins, eurent sur la destinée de Creuzer un contrecoup excellent. Définitivement délivré d’une liaison trop absorbante, le philosophe put continuer à loisir la préparation de son gros ouvrage, qui devait être pour lui, comme l’on sait, une source infinie d’honneurs et de richesses. Il eut en outre, peu de temps après, la satisfaction de pouvoir épouser une riche héritière, et cela de la façon la plus convenable, sa première femme étant morte avant d’avoir pu obtenir cette rente de veuve, qui lui tenait si à cœur. Dans les Souvenirs qu’il a publiés sur son séjour à l’Université d’Heidelberg, Caroline de Gunderode n’est pas même nommée.

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Je ne puis m’empêcher de signaler encore, avant de quitter les revues allemandes, l’article consacré par M. Hausrath, dans la Deutsche Rundschau, à l’attitude de Luther devant la Diète de Worms. On sait en effet qu’interrogé dans cette assemblée sur la question de savoir « s’il rétractait les doctrines contenues dans ses écrits », le réformateur demanda quelques jours de délai, pour réfléchir à ce qu’il devait répondre : admirable occasion pour les historiens catholiques de l’accuser de pusillanimité. Et il n’y a pas jusqu’aux écrivains protestans qui n’aient vu là une défaillance, un moment de faiblesse, qu’ils ont cherché d’ailleurs à excuser de leur mieux. « Luther, après tout, n’était qu’un homme, écrit Baumgarten dans son Histoire de Charles V ; l’extrême gravité de la situation l’aura d’abord effrayé. » D’après l’historien de la Réforme allemande, Bezold, « cette âme à l’ordinaire si vaillante s’est trouvée un moment paralysée par la peur ». Et Janssen a eu beau jeu à rappeler, avec son ironie habituelle, comment plus tard Luther s’est vanté de « l’héroïque folie » que Dieu lui avait inspirée ce jour-là.

Car non seulement le fougueux moine augustin a demandé un délai, au lieu de défendre résolument ses doctrines, mais il a encore fait cette demande d’une voix à peine distincte, avec toutes les marques de l’hésitation et de l’abattement. C’est du moins ce qu’ont répété, l’un après l’autre, tous ses biographes, sur la foi de l’un des témoins de la scène, Philippe Furstemberg, délégué à la Diète par la ville de Francfort. Mais M. Hausrath se fait fort de prouver que le témoignage de ce Furstemberg n’a absolument aucune valeur. Les contradictions en effet y abondent, et les inexactitudes matérielles : et Furstemberg finit même par avouer expressément qu’il était assis trop loin de Luther pour entendre un seul mot de tout ce qu’il a dit.

M. Hausrath ne conteste pas, cependant, que Luther, au lieu de