Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/456

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

certains principes généraux que les gens ont sans cesse à la bouche, que personne ne pratique, et qui ne reposent sur aucune base certaine. Car le bien et le mal ne sont pas quelque chose qui existe en soi, mais tout uniment ce qu’il a plu aux magistrats et aux prêtres de prononcer tel. Invention d’une poignée de fripons ! Joug séculaire dont il faut enfin que l’humanité se délivre…

« La morale est une gêne. Suis le pur instinct de la nature ! » tel est l’oracle de Diderot.

Où va l’humanité quand elle suit le pur instinct de la nature ? nous le demanderons à Danton. Si d’ailleurs c’est auprès de l’école de Médecine, en face de la statue d’un chirurgien qu’il nous faut chercher le monument élevé au grand conventionnel, ne voyez là qu’une simple coïncidence. Chacun, parmi les chefs révolutionnaires, a sa caractéristique. Mirabeau est gentilhomme, Roland bourgeois, Robespierre pédant, Marat fou ; Danton avec sa taille de colosse, sa face tourmentée, son cou de taureau, ses épaules de portefaix, sa voix tonnante qui roule les menaces, les adjurations et les jurons, avec ses fureurs et ses accès de pitié, ses besoins de jouissance, ses attendrissemens devant la campagne, ses emportemens, ses lassitudes, tout ce qui vient des impulsions d’une nature exubérante et d’un tempérament brutal, Danton est peuple. Aussi l’alliance entre le peuple et lui est-elle immédiate, comme elle est naturelle. Tout de suite le peuple l’a reconnu pour un des siens ; en récompense, il accrédite et répand dans le peuple même cette croyance, reçue encore aujourd’hui pour un dogme, que les vengeances du peuple sont légitimes, que ses colères créent la justice, et que ses crimes sont sacrés. Tout de suite il a compris que la Révolution ne peut marcher, ne peut être consolidée qu’avec le peuple. Le peuple en est l’instrument. Soyez peuple ! Nul n’a contribué plus que lui à faire du peuple le principal acteur de la Révolution, à faire passer la toute-puissance aux mains de la multitude, à réaliser le triomphe de la force dans ce qu’elle a de plus grossier et de plus violent.

De là est sortie la théorie du terrorisme, à savoir qu’on ne peut sauver la France qu’en la tyrannisant et vaincre l’ennemi à l’extérieur qu’en anéantissant l’ennemi intérieur. C’est le sens de toutes les mesures d’oppression auxquelles s’est associé Danton, substitut du procureur de la Commune, ministre, orateur de la Montagne, membre du premier Comité de salut public, au début ami de l’individu Maral, presque jusqu’à la fin complice de Robespierre. C’est le sens de ses mots les plus fameux, des mots dont on fait le plus d’honneur à son patriotisme : « Eh ! je me f… des prisonniers. Je songe à la Révolution, à la France… Il s’agit de la tragédie que vous devez donner aux nations : il s’agit de faire tomber sous la hache des lois la tête d’un tyran, et non de misérables comédies… Que la France soit libre et que mon nom soit flétri ! Que