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quoique moins intense, s’était produite quelques années plus tôt, a paru profiter un instant, par un effet de contraste, des embarras de ses voisines ; mais son gouvernement s’épuise aujourd’hui à vouloir sauver sa principale institution de crédit, compromise aussi par l’abus des prêts hypothécaires, et ses expériences politiques et sociales influent d’une manière défavorable sur son état économique.

Si la dépression a été aussi générale et aussi intense, si les colonies australiennes s’en dégagent si difficilement, c’est que des causes plus profondes s’étaient jointes, pour la produire, aux excès de spéculation. L’Australie est comme un homme dont la santé florissante cachait des tares constitutionnelles graves ; une secousse accidentelle, dont l’effet eût été assez vite réparé dans un organisme sain, est venue la frapper ; elle en a été profondément atteinte, et les défectuosités qu’on soupçonnait bien sous ses brillans dehors, mais qui n’avaient pas encore produit d’effets, se sont montrées à nu et l’ont empêchée de guérir rapidement. Ces vices généraux, nous les avons signalés : c’est d’abord le manque d’harmonie entre la distribution des habitans et les ressources du pays, près de la moitié des premiers se trouvant dans les villes, les secondes dans les campagnes. C’est ensuite le protectionnisme à outrance, qui est en partie la conséquence de l’excès de la population urbaine et qui a produit des conditions de vie tout artificielles. Enfin un phénomène universel s’étendant non pas à l’Australasie seule, mais au monde entier, est venu encore, accentuer la crise : c’est la baisse de prix des produits bruts. Les pays neufs qui exportent leurs denrées sur les marchés européens y luttent non seulement avec les producteurs locaux, mais entre eux, et, tous les perfectionnemens récens de l’agriculture leur permettant d’augmenter beaucoup les rendemens, les prix s’effondrent. Les laines australiennes, bien que supérieures en qualité, ont à souffrir de la concurrence de celles de l’Argentine et du Cap de Bonne-Espérance. Une baisse de 2 pence, soit 20 centimes par livre, comme il s’en est produit de 1890 à 1893 dans le prix de cet article essentiel du commerce australien, représente pour l’ensemble des colonies une perte annuelle de 150 millions. Le prix élevé de la main-d’œuvre place l’Australie dans de fort mauvaises conditions pour lutter avec l’Amérique du Sud, et, grâce à son protectionnisme jaloux, elle souffre de l’avilissement des produits bruts, sans profiter de la baisse de prix des articles manufacturés.

On peut cependant distinguer en Australie, depuis le début de 1895, des signes de relèvement : ils se manifestent surtout dans