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qu’ils peuvent avoir fantaisie de boire, rouges et blancs, secs, doux et mousseux, tout comme ils se procurent chez un pâtissier toute espèce de gâteaux. Cela complique absurdement la besogne du vigneron et l’installation de sa cave ; mais c’est une condition nécessaire. « Je vends même, ajoutait-il, du vin non fermenté à l’usage de certaines dénominations religieuses, qui poussent le fanatisme de la tempérance jusqu’à ne pas vouloir se servir de liquides alcooliques pour donner la communion. » Ce « vin non fermenté » n’était que du moût pasteurisé.

On éprouve en Australie, sauf en quelques districts favorisés de Victoria, les mêmes difficultés qu’en Algérie à produire du vin susceptible d’une longue conservation ; la cause en est la même : la grande chaleur qui règne au moment de la vendange, — les maxima de plus de 40° sont fréquents à Adélaïde, — fait monter la température dans les caves à 27° ou 28°, et empêche la fermentation d’être régulière et le sucre du raisin de se transformer complètement en alcool. Aussi les vins australiens sont-ils trop souvent louches et douceâtres, quoique très chargés d’alcool. L’inexpérience des vignerons vient aggraver les mauvaises conditions climatologiques. Dans le domaine dont je viens de parler, le régisseur me faisait remarquer la mauvaise construction de la cave, bâtie avant son arrivée en matériaux très légers, en un endroit très exposé au soleil ; dans une autre grande propriété de la plaine d’Adélaïde que je visitai, le cellier n’était qu’un mauvais hangar mal fermé, où la température s’élève parfois à 32° ou même à35°. Les petits cultivateurs, qui sont nombreux, ne font pas en général leur vin eux-mêmes, mais vendent leurs raisins aux grands propriétaires du voisinage.

Malgré leurs défauts, les vins australiens seraient une boisson bien préférable au whiskey, au gin et autres alcools frelatés que beaucoup de colons boivent purs ou mélangés à l’eau. Mais c’est précisément le manque de débouché local qui nuit le plus à la viticulture en Australie. La production égale à peu près aujourd’hui la consommation : celle-ci était de 130 000 hectolitres en 1893, alors que la récolte précédente atteignait 165 000 hectolitres. L’exportation en Angleterre aurait été de 23 000 hectolitres en 1892 contre 17 000 en 1891. C’est là une bien faible fraction de la consommation anglaise, qui monte de 650 000 à 700 000 hectolitres annuellement. Les vignerons de France et d’Espagne n’auront sans doute pas à craindre d’ici longtemps la concurrence des Australiens sur le marché anglais. Le vin, en Angleterre, est un article de grand luxe ; on n’y importe guère que des vins de choix, et les crus classés du continent européen, produits de vieilles