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moutons : les stations sont disséminées au pied de quelques chaînons montagneux qui arrêtent les rares nuages et les obligent à verser quelques pluies sur leurs pentes : c’est pour porter des provisions à leur personnel à travers les solitudes qui les séparent des terrains cultivables que le chameau, aujourd’hui si utile dans les champs d’or de l’ouest, a été d’abord introduit en Australie. Toute la partie occidentale du continent, avec ses immenses déserts, ses pluies tout à fait insuffisantes et les herbes vénéneuses qui se mêlent trop souvent à ses pâturages déjà rares, ne contient pas 2 millions de moutons. La richesse, comme la population de cette région, n’est encore qu’un facteur insignifiant dans l’ensemble de la société australienne. Dans l’étude du développement économique de l’Australie, on peut négliger toute la moitié du continent située à l’ouest de la ligne télégraphique qui le traverse du nord au sud, du fond du golfe Spencer à Port Darwin, en face des îles de la Sonde.

La valeur des 350 millions de kilogrammes de laine produits par les moutons australiens était en 1892 de 560 millions de francs ; 2 millions et demi de kilogrammes seulement étaient conservés pour la consommation locale ; tout le reste était envoyé en Europe et en Amérique et formait un peu plus de la moitié de la valeur totale des exportations australiennes (1 020 millions de francs). Ce n’est donc pas à Melbourne ou à Sydney, ni même dans les champs d’or de Ballarat, de Bendigo ou de Coolgardic, c’est dans les immenses plaines du Murray et du Darling qu’il faut aller chercher la véritable source de la prospérité de l’Australie.

Ces plaines sont découpées en énormes exploitations, dont la plus grande partie est seulement louée par leurs propriétaires à la couronne. Dans la Western division de la Nouvelle-Galles, la partie la plus occidentale et exclusivement pastorale de la colonie, 16 millions d’hectares sont loués pour 28 ans à 309 squatters qui ont ainsi en moyenne 50 000 hectares chacun pour y faire paître leurs troupeaux : il ne faudrait que 10 à 12 de ces propriétés juxtaposées pour égaler la surface d’un département français. Certaines sont plus grandes encore ; je rencontrai sur le paquebot qui nie portait d’Amérique en Australie le régisseur d’une ferme de 200 000 hectares, qui venait de prendre un congé de six mois pour voir l’Europe et l’Amérique, et retournait s’enfermer au milieu de ses 250 000 moutons à 1 000 kilomètres de Sydney, dans les torrides solitudes de l’ouest de la Nouvelle-Galles. L’exploitation que je visitai, dans la région du Lachlan, et qui contenait 160 000 bêtes à laine sur environ 120 000 hectares, était beaucoup