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infimes qu’elles soient… On se racontait dernièrement dans la Cité l’anecdote suivante. Un commis voyageur anglais, de retour de l’Amérique du Sud, reçut des reproches d’un de ses patrons pour avoir accepté de petites commandes : il n’y avait pas une grande maison qui acceptât des affaires de 5 £. Le commis voyageur allégua les habitudes allemandes ; le patron envoya les Allemands au diable. Cinq ans après, le même commis voyageur revenait de nouveau et avait à subir les lamentations du même patron sur la décadence des affaires. « C’est, fit l’autre, les Allemands. Les commandes de 500 £ ont suivi celles de 5 £. » Le patron déclara qu’à l’avenir il faudrait prendre ce que l’on trouverait. « Il n’y a plus rien à prendre, répliqua le commis voyageur. Vous m’avez saboulé pour avoir accepté de petites commandes et vous avez envoyé les Allemands au diable. Ce sont nos affaires qui sont allées au diable ! »

Ce n’est pas le négociant allemand qui dirait : « C’est bien assez bon pour eux. » Il ne le pense réellement pas. La preuve en est qu’il ne se lasse pas d’améliorer sa fabrication, et qu’il lui arrive aujourd’hui de travailler mieux que ses maîtres, n’en déplaise aux industriels anglais qui continuent à répéter de confiance, en parlant des produits allemands : « Pas cher, mais de la camelote ». Ce n’est plus toujours de la camelote, et quand c’est encore de la camelote (je laisse à M. Williams la responsabilité de ce qui va suivre), l’Allemand est si désolé, il a si grande honte, qu’il n’a pas le cœur d’y mettre une marque de fabrique allemande ; il met une marque anglaise, et réserve la sienne pour les produits de choix.

Ce n’est pas le négociant allemand qui se représenterait l’humanité entière acharnée à acheter ses chaussettes ou ses assiettes au prix de n’importe quelles difficultés, pour le plaisir. et pour la gloire, et pour entrer dans les vues du Seigneur. C’est une idée anglaise ; on peut bien se donner un peu de peine pour avoir l’honneur d’être servi par un citoyen de la première nation du monde. La plupart des placiers anglais, affirme M. Williams, se dispensent d’apprendre la langue du pays où ils ont leurs affaires, quitte à prendre un interprète. Le patron leur a donné l’exemple en les faisant précéder de circulaires et de catalogues en anglais, où les prix sont en monnaie anglaise, les mesures en mesures anglaises. C’est au client à comprendre ; tant pis pour lui s’il a la tête dure ou l’humeur paresseuse. Vous avez de la peine à le croire ? Moi aussi ; mais M. Williams s’y attendait, et il cite ses auteurs. Le consul britannique à Moscou dit dans une dépêche officielle : « Les maisons anglaises ne doivent pas