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appréciés de leurs patrons. Ils ont l’air de ne rien voir, à cause de leurs lunettes, et rien ne leur échappe. Au bout de quelques mois, ils savent d’où l’usine fait venir ses matières premières et ils ont dans leur carnet les noms et adresses des producteurs qui la fournissent ; ils connaissent tous les procédés, tous les débouchés, les goûts des cliens et leur solvabilité, le fort et le faible de chaque méthode et de chaque opération, et aucun de ces renseignemens ne se perd.

En 1880, des délégués de l’Institut anglais pour le fer et l’acier visitaient Dusseldorf. Un docteur allemand chargé de leur souhaiter la bienvenue le fit dans les termes suivans : « Nous ne pouvons pas refuser de reconnaître, — il y aurait déjà de l’ingratitude à le passer sous silence devant nos hôtes anglais, — que le plus grand nombre, de beaucoup, des inventions importantes et des perfectionnemens, dans l’industrie du fer, sont venus de la Grande-Bretagne ; mais vous reconnaîtrez, vous, nos visiteurs anglais, dès que vous aurez fait connaissance avec notre industrie du fer, que les Allemands ont su adapter avantageusement aux circonstances locales ce qu’ils avaient reçu de vous, et le développer d’une façon qui leur est personnelle. » M. Williams devient amer en parlant de ce petit discours, qui lui paraît empreint d’une ironie cruelle et de mauvais goût. Je suis convaincu qu’il se trompe et que son docteur s’exprimait en toute candeur, comme un écolier qui a mérité des bons points et qui tient à se les faire donner ; tant pis s’il tombe mal à propos, au moment où ses maîtres ont le cœur barbouillé ou les nerfs malades. L’Allemand a la fureur de se faire rendre justice. Quiconque a voyagé au-delà du Rhin sait à quoi s’en tenir sur ce sujet, à quel point il peut manquer de tact, quelles questions blessantes il est capable de vous adresser avec un bon sourire et de bons gros yeux.

Les Anglais commencent à leur rendre justice, mais ils ont mis des années à ouvrir les yeux. Il n’y a pas longtemps que d’autres délégués britanniques, chargés d’expliquer pourquoi les hauts fourneaux anglais fermaient, tandis que ceux d’Allemagne donnaient jusqu’à 30 pour 100 de dividende, ont résumé dans les termes suivans leur voyage en terre germanique : « Nous avons à recommencer par le commencement et à tout rapprendre. » L’un d’eux disait, au cours de son rapport : « Je suis resté confondu. »

D’élève modeste et reconnaissant, l’Allemand devient un fournisseur non moins modeste et non moins reconnaissant. Ce n’est pas lui qui dirait jamais, comme l’industriel ou le négociant anglais d’après M. Williams : « Je sais mieux qu’eux ce qu’il leur