Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/343

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pour compléter cette apologie, cette réponse anticipée à ceux qui lui reprocheront un jour d’avoir pendant dix ans gaspillé sa vie, lisez encore la Traversée (Seefahrt) :

« Depuis de longs jours et de longues nuits, mon navire était équipé ; attendant des vens favorables, j’étais assis dans le port avec de fidèles amis, prenant, le verre en main, patience et bon courage.

« Et ils étaient doublement impatiens : « De bon cœur nous te souhaitons le plus prompt voyage, de bon cœur une heureuse traversée ; la richesse t’attend là-bas dans le pays lointain ; au retour, l’estime et l’amitié dans nos bras ».

« Et de grand matin il se fait un tumulte ; le matelot avec ses cris de joie nous arrache au sommeil ; tout fourmille, tout vit et s’agite pour partir au premier souffle favorable.

« Et les voiles se gonflent au vent ; et le soleil nous attire par ses feux caressans ; les rivages filent, les hauts nuages filent ; de la rive tous nos amis nous accompagnent de chans d’espoir, imaginant, dans le vertige de la joie, des plaisirs de voyage comme ceux du matin de l’embarquement, comme ceux des premières grandes nuits étoilées.

« Mais des vents variables, envoyés de Dieu, l’écartent de la route projetée, et il paraît s’abandonner à eux, s’efforce doucement de déjouer leurs ruses, fidèle à son but, même par des chemins détournés.

« Mais des lointains gris voilés, voici que s’annonce l’orage, qui lentement approche, refoule les oiseaux à la surface des Ilots, oppresse le cœur gonflé des hommes et arrive enfin. Devant sa fureur inflexible, le pilote prudent serre les voiles ; le vent et les flots jouent avec le ballon tourmenté.

« Et là-bas, sur la rive, sont les amis et les aimés, tremblant sur la terre ferme : « Ah ! que n’est-il resté ici ! Ah ! l’orage !… « Banni, loin du bonheur !… Le cher va-t-il périr ?… Ah ! il devrait !… Ah ! il pourrait !… Dieu !… »

« Pourtant, il tient ferme au gouvernail ; le vent et les Ilots jouent avec le navire, le vent et les flots ne jouent pas avec son cœur ; son regard impérieux contemple l’abîme en fureur, et, qu’il échoue ou qu’il aborde, il se fie à ses dieux. »

N’y a-t-il pas là de quoi réconcilier un peu les plus sévères avec le séjour de Weimar ?