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circonstances qui la produisirent. Un tel travail pourrait être une curieuse page d’histoire littéraire, ou plutôt un beau chapitre de cette Philosophie de l’Inconscient qu’a esquissée M. de Hartmann : car l’esprit se perd à chercher les liens qui rattachent la composition d’Iphigénie, d’Egmont ou de Tasse, à l’existence que mena pendant plusieurs années le confident de Charles-Auguste. Une fois de plus, quand on a examiné les pièces du procès, on est forcé de conclure que le génie est un grand magicien et que souvent, en admirant ses tours, il faut renoncer à les expliquer.


I

La vie de Gœthe à Weimar est, pour ses fidèles, un sujet inépuisable d’admiration ou plutôt d’ébahissement. Les uns, comme Riemer, en classent avec méthode les traits dont ils reconnaissent la diversité, s’appliquent à la réduire, et, à force d’analyser, de séparer, de diviser, puis de grouper et d’additionner, aboutissent au total le plus incohérent qu’on puisse concevoir. D’autres, comme Lewes, renonçant à réunir en faisceau les « fils bariolés » de leur trame, se contentent d’en broder de fines miniatures, en assortissant de leur mieux les couleurs. Il en est, comme M. Hermann Grimm, qui se donnent un mal infini pour trouver un point central sur lequel ils puissent établir leur intransigeante admiration. Il en est aussi, comme Düntzer ou M. Bernays, qui jettent sur l’ensemble des faits un manteau bleu, couleur de leur rêve innocent. M. Baumgartner, au contraire, y puise d’abondans détails pour le réquisitoire qu’est sa biographie en trois volumes. Parmi les nouveaux biographes, M. Richard M. Meyer glisse très vite, admiratif et sommaire, en signalant à peine les dangers dont la vie de cour menaça Gœthe, mais qu’il sut éviter ; M. Heinemann[1] s’efforce de le représenter comme un ministre habile, bon administrateur, homme d’Etat à larges vues, bien qu’un peu trop « conservateur », qui ne dédaigna point de prendre au sérieux son rôle politique et tâcha de faire autant de bien qu’il pouvait ; ce point de vue est à peu près aussi celui de M. Bielschovsky[2], dont la toute récente « biographie » serait certainement une des meilleures, si l’on en pouvait accepter sans réserves l’ardeur apologétique.

Entre ces diverses méthodes, il se pourrait que celle de

  1. Gœthe, par Karl Heinemann. 3 vol. in-18, avec de nombreuses illustrations ; Leipzig, Leemann, 1895.
  2. Gœthe, par le Dr A. Bielschowsky. 2 vol. in-8o (dont le premier seul a paru) ; Munich, Beck, 1896.