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permettre à l’homme de garder le souvenir de son ‘clocher natal et lui laisser l’envie d’y retourner. Les charges qu’il impose sont évidemment très lourdes : trois ans de service complets à tout le monde, au moment où l’on entre véritablement dans la vie et où l’on commence sa carrière, c’est une gêne évidente, un dérangement absolu, non seulement des habitudes, mais aussi des aptitudes, qui laisse l’homme le mieux préparé au début, indécis et inerte au moment le plus critique de son existence.


III. — LES RENGAGÉS ET LE SERVICE A COURTE DURÉE

Les charges imposées par le service militaire obligatoire de trois ans sont la véritable cause du désir déjà exprimé, non seulement en France, mais encore à l’étranger, d’une réduction à deux années de ce service. A peine la loi du 15 juillet 1889 est-elle en vigueur en France qu’elle est attaquée. Or le service de deux ans est inapplicable, en raison des ressources insuffisantes du contingent francais. Il faut donc trouver autre chose, car cette tendance des esprits ne fera que s’accentuer, et l’on sera tôt ou tard obligé d’en tenir compte.

Il n’y a rien là de bien inquiétant ; et si l’on met de côté toute idée préconçue et tout esprit de routine, on voit même qu’il serait avantageux de saisir cette occasion, de profiter de cet état d’âme du pays, pour changer l’organisation de l’armée et trouver un système de recrutement qui n’ait, s’il est possible, aucun des inconvéniens signalés précédemment.

Quelles seraient donc actuellement les conditions essentielles d’une bonne loi de recrutement ? En premier lieu, créer une armée active du temps de paix très solide, servant d’encadrement à un effectif de réserves instruites, au moins égal à celui que la loi actuelle met à la disposition de l’autorité militaire ; en second lieu, réduire au strict minimum les charges du pays.

La première partie de ce problème semble difficile ; elle n’est cependant pas insoluble. L’armée active ne peut être solide, très forte, que si elle se compose en grande partie de vieux soldats, de professionnels, en un mot de rengagés, qui constitueront à l’égal des gradés de véritables cadres aux formations de réserve. C’est la voie dans laquelle s’est engagée l’Allemagne, en créant ses soixante-dix mille gradés rengagés, tous anciens soldats.

Le rengagement n’a rien d’immoral, on a bien déjà des sous-officiers rengagés ; pourquoi n’aurait-on pas de simples soldats ? Le tout est de trouver des rengagés ; or, on en aura certainement et autant qu’on le voudra en les payant.