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II. — DE LA FORCE MORALE RÉSULTANT DE L’ENCADREMENT. — INCONVÉNIENTS DES SERVICES DE DEUX ET TROIS ANS

En présence de ces chiffres formidables, on est en droit de se demander si les nations européennes ne sont pas atteintes de la folie du nombre ; si c’est bien là la solution vraie d’une forte organisation militaire ; si en un mot ces masses innombrables sont suffisamment encadrées pour être mues et dirigées, et ensuite aller au feu.

Il est permis d’en douter dans une certaine mesure ; le danger serait alors évident ; des troupes mal encadrées et peu dirigeables sont vouées à la débandade et à une destruction d’autant plus rapide et plus certaine qu’elles sont plus nombreuses.

Le remède est donc à chercher ; car, s’il est vrai que le nombre soit indispensable dans les armées modernes, il n’en est pas moins certain que, pour produire un effet utile, ce nombre doit être encadré par la qualité, et par une qualité représentée par un chiffre d’individus assez élevé pour être vraiment efficace.

Les Allemands ont compris cette vérité, en créant un corps de gradés subalternes qui comprend actuellement plus de 70 000 rengagés. L’encadrement est dans les armées modernes une nécessité ; on semble partout l’oublier, sauf en Allemagne.

Sans remonter bien haut dans l’histoire, on trouve des exemples nombreux de la force morale résultant de l’encadrement de troupes jeunes et inexpérimentées. Les armées de la première République ont dû leurs succès aux anciens soldats de la monarchie, qui en formaient le noyau, et parmi lesquels se recrutèrent les grands généraux du premier empire. Plus tard, dans cette admirable campagne de 1814, où les débris de l’armée française tenaient encore avec succès contre l’invasion de l’ennemi, l’empereur n’utilisait-il pas tous les hommes valides, même non exercés, en les encadrant par ses vieux soldats ? A la bataille de Montereau, le 18 février 1814, le général Pajol, au moment de marcher sur cette ville à l’attaque de l’ennemi, intercale un garde national entre deux gendarmes.

Pendant la guerre de 1870, au mois d’octobre, une division allemande entière, sous les ordres du général de Werder, se présenta devant la ville de Dijon, défendue par quelques compagnies de vieux soldats d’infanterie de ligne et des gardes nationaux, sans artillerie. Cette poignée de braves lutta toute une journée, de midi à six heures du soir, contre l’ennemi : les Allemands n’osèrent entrer que le lendemain dans la place. Dans ce combat, les gardes nationaux, entraînés par les vieux troupiers