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il se fit le soutien des hommes qui ne voulaient pas briller uniquement par la science. Laplace fut réduit au silence. M. Biot s’absenta de l’Institut pendant plusieurs années, et M. Arago resta maître du champ de bataille.


Comment François Buloz, si attentif à revoir les épreuves de la Revue, a-t-il pu, en si peu de lignes, laisser passer tant d’absurdités ? Laplace, qui veut qu’on soit géomètre avant tout, semble, dans une discussion sur la physique, prendre parti pour Biot contre Arago ? Tous deux, Libri feignait de l’ignorer, savaient très bien les mathématiques, aucun d’eux n’était géomètre.

On a grandi exprès Legendre pour l’opposer à Laplace !

Comment pouvait-on s’y prendre ? Les deux illustres amis avaient passé l’âge où l’on brigue les témoignages d’estime et de confiance. Lorsque l’Académie nommait une commission de géomètres, leurs deux noms réunissaient l’unanimité des suffrages. Comment les louanges données à Legendre, d’où qu’elles lui fussent adressées, pouvaient-elles amoindrir l’auteur de la Mécanique céleste ? Quel pouvait être le journaliste assez impudemment stupide pour déclarer, de par la Charte, le marquis de Laplace ignorant, et croire parla le réduire au silence ?

À quoi pensait Libri en ajoutant : « M. Biot s’absenta de l’Institut pendant plusieurs années. »Les lecteurs de la Revue semblent invités à croire que Biot avait fui devant la terrible accusation d’être membre de la Société des Bonnes Lettres. C’est une erreur, et Libri, qui, tout récemment, avait dû à Biot sa nomination au Collège de France, l’en récompensait mal en appelant l’attention sur un souvenir presque oublié. Puisque Libri savait que Biot s’était éloigné, il ne pouvait ignorer à quelle occasion. Quant à moi, je l’ai su par Arago ; j’aurais pu demander à Biot la confirmation du récit, je ne l’ai pas osé.

Biot présentait à l’Académie un projet ou une invention, relative, je crois, à la photométrie. Arago l’interrompit pour réclamer la priorité de principe. Biot continuait ses explications et, les déclarant siennes, alla tracer une figure au tableau. « Cette figure, s’écria Arago, est précisément celle que j’ai faite devant vous, pour vaincre votre résistance à l’idée que vous adoptez aujourd’hui. » Biot n’en avait aucun souvenir. « Je demande, dit alors Arago, que l’Académie veuille bien rester en séance, et que deux de ses membres se transportent rue Saint-Jacques, devant l’église Saint-Jacques du Haut-Pas, ils y trouveront la figure que j’ai tracée avec ma clef sur l’une des colonnes, mercredi dernier, en sortant avec M. Biot du Bureau des longitudes ; s’ils veulent bien, ensuite, se transporter dans mon cabinet, ils y trouveront, dans une note que je les prie de rapporter, tout ce que l’Académie vient d’entendre. »