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leur concours. Bouvard était absent, Biot fut chargé de le prévenir. Il le rencontre le lendemain dans l’avenue de l’Observatoire. « Pour qui votez-vous dans notre prochaine élection ? » lui demanda-t-il. Bouvard, sans hésiter, lui nomma son candidat : c’était Girard, en ajoutant les motifs qui le décidaient. « Eh bien, vous vous trompez, lui dit Biot, vous voterez pour Poisson ; M. Laplace m’a chargé de vous le dire. » Quinze jours après. Poisson était nommé, et Bouvard votait pour lui. La section de physique lui convenait aussi peu qu’à Biot celle de géométrie, et il le sentait si bien que, peu d’années après, ils proposaient une permutation, qui, acceptée d’abord, rencontra des objections très fondées, et ne put s’accomplir.

L’influence d’Arago était due à ses qualités personnelles, beaucoup plus qu’à sa renommée scientifique. Une science très vaste, un grand talent, un brillant esprit, le don de persuader, de conduire et de soumettre les hommes, sont des qualités très différentes du génie d’invention. Poinsot était une des gloires de l’Académie ; sans subir aucune influence, il ne voulait, et, probablement, n’aurait su en exercer aucune dans les élections. Quand après la visite d’un candidat, sans se soucier de ses découvertes et de ses travaux, il pouvait dire de lui : « Ce monsieur est un sot ! » son enquête était terminée, et il faisait des vœux pour les concurrens. Une Académie dirigée par Poinsot, en écartant, sans rien entendre, les savans de peu d’esprit, serait restée fort incomplète.

Après avoir dit le rôle d’Arago à l’Académie, Libri rappelait rapidement sa biographie, sans inexactitude, mais sans bienveillance et par conséquent sans justice. Sans refuser tout mérite à son ennemi, il élevait au-dessus de lui, comme si l’hésitation n’était pas permise, tous les membres marquans de l’Académie.


Les destinées futures de la science confiées aux mains des Cuvier, des Poisson, des Fourier, des Cauchy, des Biot, des Dulong, des Ampère, des Geoffroy, des Gay-Lussac, des Thénard, des Malus, des Brongniart, des Mirbel, des Fresnel, des Magendie, des Blainville, semblaient devoir grandir sans cesse, et M. Arago n’avait qu’à suivre de si beaux exemples pour se créer, par des travaux solides, une réputation européenne ; mais la facilité de ses premiers succès, une certaine indolence que, malheureusement, il n’a jamais pu surmonter, la disposition particulière de son esprit qui semble plus propre aux aperçus brillans et soudains qu’aux vastes conceptions, aux recherches longues et opiniâtres et aux théories élevées, le portèrent peu à peu à abandonner l’étude des mathématiques, à négliger l’astronomie théorique, et à ne chercher dans la physique, à laquelle il se livra presque exclusivement, que les faits curieux et singuliers qui frappent, il est vrai, vivement l’imagination, mais qui sont aussi souvent le résultat d’un hasard heureux que de l’habileté de l’observateur.