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il n’a pu, comme Ebelmen, briguer qu’une seule fois les suffrages de l’Académie, qui, très équitablement, lui préféra Ossian Bonnet, beaucoup plus âgé que lui, et non moins digne de s’asseoir parmi les maîtres. L’histoire de notre « quarante et unième fauteuil » rappellerait à l’Académie des sciences beaucoup plus de deuils que de fautes. Dans un seul cas, peut-être, l’excuse qu’on a donnée, — on en donne toujours, — n’était pas acceptable. Si Charles Briot n’a pas appartenu à l’Institut, c’est que, pour ses plus belles découvertes, il avait un collaborateur. L’Académie, en nommant Bouquet, s’est acquittée envers la science, mais un savant de premier ordre a été sacrifié.

Pour quelques savans de mérite réel, très rares, on le devine, — je ne pourrais citer qu’un seul nom, — une honorabilité trop douteuse a empêché l’élection. Ce nom n’est ni assez illustre pour qu’on le devine sur cette indication, ni assez indigne pour qu’il soit permis de le flétrir inutilement ici. Ce n’est pas Libri, on sait qu’il fut élu par cinquante suffrages, Nicolet non plus, dont les titres scientifiques étaient nuls.

Le désir d’accroître, avec le retentissement des discussions académiques, l’importance auprès du grand public, — c’est-à-dire des ignorans, — de ceux qui y prennent part ; l’espoir d’intéresser la génération présente aux efforts qui souvent laisseront la postérité indifférente, et de placer, pour ainsi dire, en viager la petite part de gloire pour laquelle on s’agite et travaille, telles ont été les causes qui ont appelé les journalistes à nos séances.

Arago, que Libri rend seul responsable, la porte une fois ouverte, n’aurait pas eu la force de la fermer ; il n’en avait d’ailleurs aucun désir. L’illustre secrétaire perpétuel aimait les applaudissemens de la foule ; pour appeler à nos séances un public de plus en plus nombreux, il s’appliquait à lui faire entendre sur les questions les plus variées de savantes et spirituelles leçons. Ces leçons, improvisées en apparence, étaient soigneusement préparées. C’était une petite coquetterie d’Arago. La correspondance, dépouillée publiquement le lundi, lui était portée le samedi ; toute communication arrivée plus tard à l’Académie était remise à la semaine suivante, et Arago se réservait ainsi deux journées entières pour assurer son érudition. Ce n’était un secret pour personne ; ses amis ne cessaient pourtant d’admirer que, sur toutes les questions, il invoquât constamment des citations et des dates précises. Telle n’était pas, disaient ses adversaires, la destination de l’Académie des sciences. Ils disaient vrai, mais si l’Académie, sans négliger aucun devoir, donnait en outre au public un plaisir qu’elle ne lui devait pas, était-il juste de s’en plaindre ?